Une mosaïque intellectuelle de 2 400 pages
Dans un amphithéâtre comble de l’Université Marien-Ngouabi, le Centre d’études stratégiques du bassin du Congo a levé le voile sur une œuvre bibliographique hors normes. Réparti en sept volumes élégamment reliés, le catalogue 2023 regroupe près d’un millier de thèses soutenues par des Congolais sur cinq continents. Par son ampleur, il s’apparente à un miroir fidèle des aspirations scientifiques nationales, depuis l’économie politique des forêts du bassin du Congo jusqu’aux mathématiques appliquées aux télécommunications. « Ce travail n’est pas une simple compilation, c’est un manifeste de notre capacité à produire du savoir de haut niveau », a expliqué Aimé Dieudonné Mianzenza, président du CESBC, devant un parterre de chercheurs et de décideurs publics.
Vingt ans d’expertise au service du savoir
La publication coïncide avec le vingtième anniversaire du CESBC, organisation indépendante qui s’est progressivement imposée comme l’un des lieux de réflexion privilégiés pour la communauté académique congolaise. Financé par les cotisations de ses membres et animé par des bénévoles, le centre défend une approche « evidence-based » dans l’élaboration des politiques publiques de développement. Au fil des ans, il a diversifié son champ d’action, passant de l’analyse macroéconomique à la prospective climatique, sans jamais perdre de vue la mise en valeur du capital humain. Selon les chiffres communiqués, CESBC-Presses a déjà publié 67 ouvrages de ses sociétaires, contribuant à nourrir une bibliographie nationale souvent jugée trop maigre par les observateurs internationaux.
Une méthodologie de validation scientifique exigeante
Derrière la dimension symbolique, le catalogue se distingue par une procédure de vérification minutieuse. Pendant deux décennies, des équipes successives ont mené des entretiens, consulté des bases de données universitaires et correspondu avec plus de quarante universités africaines, européennes, asiatiques et nord-américaines. L’objectif était double : authentifier l’existence de chaque doctorat et préciser la mention obtenue. « Nous avons dû écarter plusieurs dossiers faute de justificatifs probants », confie la responsable scientifique du projet, la professeure Odile Mouyabi, rappelant l’importance de protéger le système académique national contre les diplômes de complaisance. La démarche rejoint les recommandations formulées par l’Union africaine sur l’harmonisation des standards universitaires, et offre aux recruteurs un instrument de vérification inédit.
Visibilité et crédibilité des chercheurs congolais
Au-delà de la rigueur documentaire, l’initiative répond surtout à une critique récurrente : l’invisibilité supposée des intellectuels congolais dans la circulation mondiale du savoir. Le catalogue montre que les sciences humaines arrivent en tête des disciplines répertoriées, talonnées par le droit, l’économie et les sciences exactes. L’éventail des sujets surprend par sa modernité. Certains travaux portent sur l’intelligence artificielle appliquée à la gestion forestière, d’autres décortiquent les enjeux juridiques de la Zone de libre-échange continentale africaine. « Le dynamisme existe bel et bien ; il faut maintenant lui offrir une scène », martèle Mianzenza. Plusieurs jeunes docteurs présents lors de la cérémonie ont salué un outil qui leur permettra de réseauter et de valoriser leurs expertises auprès des institutions publiques et privées du pays.
Commercialisation raisonnée et pérennité financière
Pour assurer la durabilité économique de l’ouvrage, le CESBC a opté pour une vente exclusivement intégrale et sur commande. Cette stratégie, inspirée des pratiques des presses universitaires anglo-saxonnes, garantit à la fois la couverture des frais d’impression et le maintien d’un prix accessible aux bibliothèques universitaires. Les premières sollicitations émanent déjà des services de documentation de Pointe-Noire, de Kinshasa et de Dakar, signe que le rayonnement de la recherche congolaise dépasse les frontières nationales. Le ministère de l’Enseignement supérieur a déclaré, par la voix d’un conseiller technique présent, envisager l’acquisition d’exemplaires pour chaque faculté publique, reconnaissant « un outil de pilotage indispensable à la gouvernance de la recherche ».
Financement carbone : la science face à l’urgence climatique
La journée commémorative s’est clôturée par une table ronde consacrée au financement carbone, thématique que le centre suit de près depuis la COP26. Les intervenants, dont l’économiste Clémence Ndzamba et l’ingénieur forestier Arnaud Ibata, ont souligné la nécessité pour la République du Congo de consolider sa position de pays-puits de carbone, tout en développant des projets communautaires générateurs de revenus. « L’avenir de l’humanité est en jeu, nous devons étudier nos propres problèmes et proposer nos propres solutions », a rappelé Aimé Dieudonné Mianzenza, appelant à un sursaut de responsabilité intellectuelle nationale. Le catalogue des thèses devient alors plus qu’un objet érudit : il constitue une base de données essentielle pour identifier les compétences locales capables de concevoir des mécanismes de financement carbone adaptés aux réalités congolaises.
Un instrument stratégique pour la prochaine génération
En révélant l’étendue et la diversité du travail doctoral congolais, le CESBC propose une cartographie qui peut servir de boussole aux décideurs, aux investisseurs et aux jeunes chercheurs en quête de mentors. Le directeur de l’École doctorale interdisciplinaire, Alphonse Mabiala, y voit « un socle sur lequel construire des programmes de recherche appliquée répondant aux attentes du Plan national de développement ». À l’heure où la République du Congo consolide sa diplomatie scientifique et renforce son attractivité académique, ce catalogue géant apparaît comme une étape décisive. Il nourrit l’ambition collective d’une génération prête à conjuguer souveraineté intellectuelle et ouverture au monde, dans le respect des orientations stratégiques nationales.