Une initiative régionale sous le sceau de la Convention de Stockholm
Sous la brume côtière de Douala, la salle de conférence du ministère de l’Environnement a vibré deux jours durant au rythme d’un vocabulaire technique jusque-là réservé aux initiés : polychlorobiphényles, bio-accumulation, persistance toxique. Du 24 au 25 juin 2025, chercheurs, bailleurs et décideurs ont officiellement lancé le projet « Phasing out of PCB use and its elimination in Cameroon », seconde étape d’un programme piloté par le Fonds pour l’environnement mondial. Ce rendez-vous inscrit le Cameroun, aux côtés du Nigéria, du Gabon ou encore de l’Eswatini, dans le « Global Elimination Program for PCB », déclinaison concrète de la Convention de Stockholm que Yaoundé a ratifiée en 2005.
Financement international et savoir-faire local en synergie
Au-delà de l’effet d’annonce, l’atelier de Douala clarifie la mécanique financière et technique d’une opération évaluée à plusieurs millions de dollars. La Banque mondiale garantit l’appui fiduciaire, ONU Environnement assure le suivi technique, tandis que le secteur privé local met à disposition équipements et ingénieurs pour la cartographie des sites contaminés. « Ce mix des compétences est notre meilleure assurance de succès », souligne le professeur Paul Tchawa, secrétaire général du ministère camerounais de l’Environnement. L’objectif est de remplacer les huiles diélectriques contaminées dans les transformateurs, puis de traiter les déchets selon des normes internationalement reconnues.
Les jeunes générations face au legs toxique des PCB
Nés entre la fin des années 1980 et le début des années 2000, nombre de jeunes adultes d’Afrique centrale découvrent aujourd’hui qu’ils ont grandi au contact de substances classées dangereuses par l’Organisation mondiale de la santé. Parce qu’ils se concentrent dans les graisses animales et humaines, les PCB se transmettent silencieusement de la mère à l’enfant. À Brazzaville comme à Douala, les associations étudiantes multiplient désormais les campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, rappelant que ces polluants voyagent par l’air, l’eau et la chaîne alimentaire. « Nous parlons d’une justice intergénérationnelle : nos parents ont profité d’un progrès industriel, à nous d’en gérer les externalités », résume Grâce Essessolo, biologiste congolaise installée à Pointe-Noire.
Objectif 2028 : calendrier, défis et opportunités
La Convention de Stockholm fixe à 2028 la date butoir pour l’arrêt complet de l’usage des PCB. Sur le terrain, cela signifie identifier chaque transformateur suspect, sécuriser son transport, puis le décontaminer ou le détruire à haute température dans des fours spécialisés. L’exercice est coûteux et requiert des infrastructures encore rares en Afrique centrale. Le programme camerounais mise sur un transfert de technologies qui pourrait bénéficier aux pays voisins, dont le Congo-Brazzaville, engagé depuis 2022 dans un inventaire similaire. Des partenariats Sud-Sud sont envisagés pour mutualiser les laboratoires mobiles et former une nouvelle génération d’ingénieurs en chimie verte.
Vers une gouvernance verte inclusive en Afrique centrale
Au-delà du technicisme, l’élimination des PCB questionne la gouvernance environnementale. Les décideurs réunis à Douala se sont engagés à renforcer la transparence des données, condition sine qua non pour attirer l’investissement climatique. Ils souhaitent également encourager l’entrepreneuriat des jeunes, en finançant des start-up capables de recycler les matériaux récupérés ou de proposer des substituts écologiques aux huiles industrielles. « La transformation durable passera par la valorisation économique des déchets », affirme Caroline Manga, consultante pour la Banque mondiale. En filigrane, c’est l’ensemble du tissu socio-économique d’Afrique centrale qui pourrait se réorganiser autour d’une économie circulaire, créatrice d’emplois et d’un environnement plus sain.
Cap sur 2030 : l’ambition d’une Afrique centrale décontaminée
Au terme de l’atelier, un sentiment d’urgence mesurée dominait : si l’échéance de 2028 paraît ambitieuse, elle sert de catalyseur pour accélérer les réformes. Grâce au mélange d’appuis multilatéraux, d’expertise locale et de mobilisation citoyenne, le Cameroun espère présenter d’ici 2030 un territoire exempt de PCB et prêt à affronter d’autres polluants organiques persistants. Pour les jeunes Congolais appelés à suivre ce chantier voisin, l’initiative de Douala fournit une feuille de route réaliste : conjuguer exigences scientifiques, volonté politique et innovation entrepreneuriale afin de bâtir une Afrique centrale où la santé publique et la croissance verte forment un même horizon.