Kintélé, nouvelle agora des ambitions francophones
Ni place Tahrir ni Silicon Valley, c’est dans la cité balnéaire de Kintélé que la 5ᵉ Rencontre des entrepreneurs francophones a planté son décor du 26 au 28 juin 2025. Derrière l’esthétique épurée du Centre international de conférence, un millier de dirigeants et de jeunes patrons venus de plus de quarante pays ont pris langue pour décliner le thème « Bâtir ensemble une croissance partagée ». Sous l’égide conjointe de l’Alliance des patronats francophones et d’Unicongo, l’événement s’est voulu autant vitrine qu’atelier de la Francophonie économique contemporaine.
Un plaidoyer présidentiel pour un capitalisme de proximité
Présidant l’ouverture, Denis Sassou-Nguesso a rappelé que « pays de paix, le Congo est doté d’institutions stables qui fonctionnent normalement ». L’argument, égrené devant Louise Mushikiwabo et Geoffroy Roux de Bézieux, se double d’une articulation libérale clairement assumée : liberté d’entreprendre, sécurisation foncière, fiscalité incitative. Le chef de l’État a insisté sur la vocation de plate-forme sous-régionale du Congo, forte d’un potentiel de 120 millions de consommateurs lorsque l’on intègre la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Il s’est agi, en filigrane, de convaincre que l’addition stabilité-taille du marché forme un couple gagnant.
Des atouts stratégiques mis sur la table
La rhétorique présidentielle trouve un écho concret dans les secteurs ciblés : agriculture de transformation, aquaculture, valorisation des forêts certifiées, mines critiques pour la transition énergétique, énergies renouvelables ou encore économie numérique. Michel Djombo, président d’Unicongo, a souligné que « le Congo dispose d’atouts majeurs faisant de lui un acteur stratégique » et a exhorté à transformer la Francophonie en « marché intégré de partage et d’innovations ». Pour les jeunes adultes congolais engagés dans les start-up agri-tech ou fintech, cette visibilité géo-économique confère une légitimité supplémentaire à leurs projets de levée de fonds.
Mobilité des affaires : la demande d’une diplomatie consulaire agile
Roberto Suárez Santos, à la tête de l’Alliance des patronats francophones, a insisté sur la nécessité de fluidifier la mobilité des dirigeants et des techniciens. Même son de cloche pour la secrétaire générale de l’OIF, qui plaide pour un assouplissement des visas d’affaires au sein de l’espace francophone. Cette condition est jugée décisive par de jeunes incubateurs brazzavillois, pour qui le time-to-market se mesure souvent à la durée d’obtention d’un cachet consulaire. Les discussions en coulisses laissent entrevoir la mise en place d’un guichet unique régional piloté par les ministères des Affaires étrangères concernés, objectif : accélérer l’implantation des filiales et réduire les coûts transactionnels.
Un dialogue public-privé en quête de maturité
Le climat des affaires congolais a franchi plusieurs étapes, dont la création de l’Agence de promotion des investissements et la mise à niveau du Code des marchés publics. Les délégations canadiennes et ivoiriennes ont salué le passage à un guichet numérique unique pour l’immatriculation des sociétés, réduisant le délai moyen à cinq jours ouvrés, contre douze auparavant. Pour autant, les entrepreneurs locaux rappellent que l’accès au financement bancaire demeure un nœud à défaire ; la Banque des États de l’Afrique centrale est invitée à élargir ses mécanismes de garantie afin de lisser le risque perçu par les établissements prêteurs.
Jeunesse congolaise : entre soft skills et hard cash
À trente ans de moyenne d’âge, la population congolaise représente plus qu’un vivier de main-d’œuvre : elle est un marché de consommation culturelle et technologique avide de solutions locales. Dans les couloirs, un jeune développeur de Pointe-Noire se réjouit que la R.e.f « offre enfin une tribune où nos prototypes rencontrent des capitaux rompus aux standards internationaux ». Des concours d’innovation ont primé des applications de géolocalisation des terres arables et des systèmes de paiement mobile interopérables, prouvant que la disruption n’est plus l’apanage des métropoles du Nord.
Retombées immédiates et horizon cambodgien
Au sortir de trois jours d’échanges, une vingtaine de protocoles d’accord ont été signés, couvrant micro-assurance agricole, transformation de manioc et déploiement de micro-réseaux solaires. L’A.P.F a décerné au président congolais un « Prix d’excellence de la promotion de la Francophonie économique », reconnaissance symbolique qui vient conforter la diplomatie économique de Brazzaville. Dès 2026, le flambeau passera au Cambodge pour la 6ᵉ édition, laissant aux équipes locales le défi de convertir les intentions en chaînes de valeur tangibles.
Regards prospectifs sur une stratégie de coalition
Sous la bienséance des formules protocolaires, la R.e.f de Kintélé aura cristallisé une intuition : le temps d’une Francophonie réduite à la passion culturelle est révolu. Elle se redéfinit comme coalition économique pesant 20 % du PIB mondial, dont le Congo entend être une balise stratégique. À condition de consolider l’État de droit économique, d’ouvrir davantage le crédit et de préserver le dialogue intergénérationnel, le pari d’une croissance partagée pourrait cesser d’être un slogan pour devenir une réalité comptable. Pour les jeunes adultes congolais, l’invitation est claire : être auteurs, non simples spectateurs, de cette nouvelle page entrepreneuriale.
