Mbinda, héritage industriel et vulnérabilité sanitaire
Mbinda, jadis plaque tournante du manganèse convoyé par la COMILOG vers Pointe-Noire, porte encore les cicatrices d’une désindustrialisation brutale survenue il y a trente-quatre ans. Le retrait de l’entreprise a provoqué l’effondrement des infrastructures essentielles, laissant la population sans eau potable ni électricité. Privés de réseau d’adduction sécurisé, les habitants se rabattent désormais sur les puits ou sur les cours d’eau du bassin versant, dont la Yordane. Dans ce contexte, l’accumulation de déchets solides et végétaux dans le lit de la rivière accroît le risque d’inondations, tout en favorisant la propagation de pathogènes responsables de flambées de choléra, de typhoïde ou de variole déjà documentées par les services sanitaires départementaux.
Alors que les pouvoirs publics peinent à restaurer les services urbains, la question environnementale devient une affaire de survie pour la communauté. « La moindre averse entraîne un débordement chargé de détritus, et nos puits se contaminent », confie le chef de quartier Gaspard Moussavou, rappelant que 72 % des familles dépendent directement des eaux de surface pour leur consommation domestique d’après un recensement communal de 2022. Dans cette ville où l’impact de l’extractivisme défunt se conjugue à l’urbanisation non planifiée, l’assainissement de la Yordane s’impose comme un préalable à toute stratégie de santé publique.
Passia : la jeunesse s’érige en gardienne de la Yordane
Rompant avec la fatalité, une quarantaine de jeunes du quartier Passia a décidé de prendre la rivière à bras-le-corps. Réunis autour du comité local de développement, ils se sont scindés en équipes pour extraire troncs, branches et déchets urbains formant des embâcles. Le travail s’effectue à la machette et à la houe, parfois dans un mètre d’eau trouble, l’accès aux berges étant possible seulement en pirogue sur plusieurs tronçons. « Nous ne pouvions plus regarder la Yordane mourir à petit feu », témoigne Sonia Ndzoumba, étudiante en géographie de retour au village pendant les vacances.
L’efficacité de la mobilisation tient à la combinaison rare d’un objectif tangible et d’une dynamique intergénérationnelle. Les aînés, anciens salariés de la COMILOG, fournissent les embarcations et les conseils de sécurité fluviale, tandis que les plus jeunes orchestrent la communication sur les réseaux sociaux. En deux semaines, près de dix tonnes de déchets organiques et plastiques ont été retirées, selon une estimation croisée du Service départemental de l’environnement et du centre de santé intégré.
Nettoyer une rivière africaine : logistique d’un chantier communautaire
L’assainissement d’un cours d’eau tropical ne relève pas seulement de la bonne volonté. Les bénévoles ont dû composer avec la densité de la forêt galerie, la présence d’hippopotames en saison des pluies et des épisodes de crue subite. Faute d’équipements motorisés, ils ont adopté une méthodologie simple : dégager d’abord la végétation rivulaire pour créer un couloir, puis désolidariser les troncs emportés lors des derniers orages. Les branchages sont sectionnés sur place afin d’être transformés en bois de chauffe par les riverains, réduisant ainsi l’abattage d’arbres vivants.
L’initiative a également reçu l’appui technique de l’antenne régionale du Programme national d’assainissement, qui a fourni gants, imperméables et sacs de jute biodégradables. Selon l’ingénieur-hydrologue Alain Mabika, présent sur le terrain, « l’opération illustre le potentiel d’un volontariat structuré : si chaque quartier adoptait son cours d’eau, le linéaire assaini dans le département triplerait en moins de cinq ans ». L’expert rappelle toutefois que seule une approche de bassin, incluant la gestion des déchets à la source, permettra d’éviter la recontamination chronique.
Santé publique et écologie : le double dividende d’un geste citoyen
Les premiers effets positifs se font déjà sentir. Le poste de santé de Mbinda signale, pour le mois qui a suivi l’opération, une baisse de 18 % des consultations pour diarrhées aiguës par rapport à la même période l’an passé. Si la corrélation directe demeure à confirmer, le médecin-chef, Dr Clarisse Tchibambou, y voit « un signe encourageant de l’impact immédiat d’un milieu aquatique moins chargé en matières fécales et en plastiques ». Sur le plan écologique, la réduction des embâcles améliore l’oxygénation de l’eau, favorisant la reproduction des tilapias et des silures, ressources protéiques essentielles aux ménages.
Paradoxalement, la pauvreté infrastructurelle a catalysé une conscience environnementale inédite. Les participants décrivent une véritable métamorphose psychosociale : la fierté de rendre la Yordane navigable se traduit par une vigilance accrue contre le jet des sachets non biodégradables. « Hier, on jetait nos ordures la nuit. Aujourd’hui, on s’interpelle entre voisins », observe le jeune rappeur Kader « Kaydo » Mayassi, qui a dédié une chanson à la rivière lors d’un concert spontané sur la berge réhabilitée.
Au-delà du ramassage : vers une citoyenneté environnementale pérenne
Les autorités locales entendent capitaliser sur cet élan. Une convention est à l’étude pour intégrer les volontaires de Passia au dispositif national de Service civique, ouvrant droit à une micro-indemnisation et à une formation sur la gestion des déchets solides. La mairie, de son côté, projette l’installation de bacs de tri sélectif expérimentaux afin de rompre le cycle infernal qui ramène les déchets dans le lit fluvial au premier orage.
La société civile appelle toutefois à plus de cohérence institutionnelle. Les ONG environnementales rappellent que le succès d’une opération ponctuelle se joue dans l’appropriation communautaire et le suivi scientifique. La création d’un observatoire participatif de la qualité de l’eau, équipé de kits d’analyse rapide, est évoquée pour documenter les variations de turbidité et la présence d’Escherichia coli. À terme, ces données pourraient nourrir les rapports du ministère en charge de l’Environnement et orienter les financements climatiques internationaux.
Faire d’une initiative locale un modèle de développement durable
L’exemple de Passia révèle la capacité d’auto-organisation d’une jeunesse congolaise trop souvent réduite au chômage ou à la migration. Il montre aussi que la régénération des écosystèmes urbains peut générer un triple impact : sanitaire, social et économique. En conviant les clubs sportifs à participer aux séances de débroussaillage, les bénévoles ont transformé une corvée en activité physique collective, réduisant la sédentarité et retissant le lien social dans une cité marquée par l’exode post-minier.
Reste à inscrire cette dynamique dans la durée. La Banque mondiale estime que chaque dollar investi dans l’assainissement des cours d’eau urbains en Afrique centrale se traduit par quatre dollars d’économies en soins de santé (World Bank, 2021). Forts de ce ratio, les jeunes de Passia plaident pour que le nettoyage de la Yordane serve de projet pilote à un programme départemental de “contrats de rivière” financé par des partenariats public-privé. À Mbinda, l’avenir de la santé publique pourrait bien se jouer sur l’étroite bande d’eau où, désormais, des volontaires en gilets fluorescents pagayent au lever du soleil.