Une installation stratégique au cœur de la Bouenza
Dans le couloir fertile que constitue la vallée de la Bouenza, à quinze kilomètres à peine de Nkayi, le ruban symbolique a été coupé le 27 juin par le président Denis Sassou Nguesso. La distillerie flambant neuve de Mountela, fruit d’un investissement d’environ quinze milliards de francs CFA, concrétise la volonté affichée de transformer sur place les sous-produits de l’industrie sucrière. Comptant sur une capacité nominale de six millions de litres d’alcool alimentaire par an, cette unité complète le maillon qu’il manquait à la chaîne de valeur de la canne à sucre congolaise.
Un pari industriel sur la chaîne de valeur sucrière congolaise
Jusqu’ici, la mélasse issue des 70 000 tonnes annuelles de sucre produits par Saris-Congo n’était qu’un résidu aux usages limités. En la distillant sur place, le groupe Somdia, actionnaire majoritaire de Saris, répond au double impératif d’optimisation industrielle et de création de valeur ajoutée locale. « Nous voulons convertir chaque goutte de canne en richesse utile au territoire », résume un responsable de la société, soulignant la logique d’économie circulaire que le projet incarne.
Le groupe Castel, premier client pressenti, y voit la garantie d’un approvisionnement régulier en alcool neutre de qualité, indispensable à la production de boissons. Les importations, chiffrées à plusieurs milliards de francs CFA chaque année, devraient mécaniquement diminuer, soulageant la balance commerciale et sécurisant la filière brassicole locale.
Des retombées économiques régionales immédiates
Le chantier, mené en deux ans avec les partenaires Praj, Contracting et Ponticelli, a mobilisé près de 600 travailleuses et travailleurs dont une majorité de jeunes des localités voisines. Cette dynamique d’emploi perdure : l’usine fonctionnera en rythme de croisière avec plus de 120 postes permanents, tandis que les services annexes – logistique, maintenance, agriculture contractuelle – devraient en induire plusieurs centaines d’autres selon les estimations du ministère du Développement industriel.
À plus long terme, les autorités locales espèrent que l’afflux de revenus salariaux dynamisera le commerce de Nkayi et encouragera l’installation de PME de conditionnement ou de sous-traitance. Pour l’économiste congolais Léon-Raphaël Ondongo, « chaque franc investi dans une industrie de transformation génère un effet multiplicateur notable sur le tissu marchand régional ».
Innovation durable et transition écologique maîtrisée
La distillerie s’appuie sur des procédés thermiques de dernière génération permettant de récupérer la vapeur issue de la fermentation afin de réduire la consommation d’énergie fossile. Les résidus, richement chargés en éléments organiques, sont retournés aux plantations de cannes sous forme de vinasses, fermant ainsi le cycle de fertilisation des sols. Cette approche, conforme à la feuille de route nationale sur l’économie verte, limite l’empreinte carbone tout en améliorant la productivité agricole.
En outre, l’eau de refroidissement est recyclée suivant un circuit quasi fermé, dans le strict respect des normes environnementales de la Communauté économique des États d’Afrique centrale. L’alliance entre performance industrielle et sobriété écologique ambitionne de faire de Mountela un modèle de distillerie low-carbon sur le continent.
Perspectives pour la souveraineté agro-alimentaire et l’entrepreneuriat juvénile
En substituant une production locale aux importations d’alcool, le Congo-Brazzaville se rapproche de l’autosuffisance dans une filière stratégique. Cette évolution renforce la souveraineté alimentaire, mais elle présente aussi une opportunité pour les jeunes diplômés en génie des procédés, chimie ou agronomie, invités à apporter leur expertise. Des programmes de stages et de formation continue sont déjà annoncés par Saris-Congo en partenariat avec l’Université Marien-Ngouabi.
La montée en compétences locales nourrit par ailleurs l’ambition gouvernementale d’émergence industrielle, inscrite dans le Plan national de développement. Pour de nombreux observateurs, la distillerie constitue une « école vivante » où la jeunesse peut expérimenter la réalité d’une industrialisation inclusive et durable.
Un signal de confiance adressé aux investisseurs
Alors que le climat économique mondial demeure incertain, la mobilisation de capitaux privés internationaux aux côtés de l’État congolais envoie un message clair : le pays offre un cadre propice aux projets productifs. Le président de la République a salué « l’engagement continu de partenaires qui misent sur la stabilité et la vision économique du Congo », rappelant que la relance post-pandémie nécessite des initiatives créatrices d’emplois et de devises.
Les observateurs anticipent que d’autres secteurs d’activité, notamment l’huile de palme, le cacao ou le manioc industriel, pourraient bientôt suivre l’exemple de Mountela. La distillerie devient ainsi la vitrine d’une politique fondée sur la transformation locale des matières premières, politique susceptible de redéfinir en profondeur l’architecture économique nationale.
Vers un avenir sucré… et spiritueux
Loin d’être un simple événement protocolaire, l’inauguration de Mountela marque une étape tangible dans la quête de diversification économique congolaise. À l’heure où les jeunes adultes aspirent à des perspectives professionnelles solides et à un développement durable, la nouvelle distillerie apparaît comme un symbole de ce futur possible : un futur qui conjugue exigence industrielle, responsabilité environnementale et inclusion sociale.
Si la canne à sucre offre depuis des décennies un goût familier dans les foyers, elle promet désormais de libérer un potentiel accru par la magie de la distillation. Le pari est lancé : faire de la Bouenza non seulement la terre du sucre, mais aussi le terroir d’un alcool à l’identité congolaise affirmée.
