Une inauguration à forte charge symbolique
Sous le soleil miroitant du Niari, la coupure du ruban tricolore a réuni décideurs politiques, cadres de Somdia et habitants venus des localités voisines. En saluant « une concrétisation éloquente du Plan national de développement », le président Denis Sassou Nguesso a souligné la cohérence de la distillerie avec la stratégie de diversification industrielle, souvent évoquée mais désormais tangible. L’implantation dans le sud-ouest du pays n’est pas fortuite : la Bouenza concentre déjà la quasi-totalité de la production sucrière nationale. Adjoindre à cette filière un maillon de transformation supplémentaire revient à prolonger la chaîne de valeur sur place et à retenir localement la richesse créée.
Le cérémonial, ponctué de danses traditionnelles Kongo et de démonstrations techniques, a permis d’illustrer l’ambition d’un État actionnaire et d’un groupe privé, Somdia, vieux partenaire du Congo depuis son premier investissement sucrier dans les années 1970. « Nous ne posons pas seulement la première pierre d’une usine, nous écrivons un chapitre de souveraineté industrielle », a déclaré le ministre du Développement industriel, Antoine Nicéphore Fylla de Saint-Eudes, rappelant que la participation publique au capital vise à garantir un ancrage durable dans l’économie nationale.
Valoriser chaque goutte de la canne à sucre
Au cœur du dispositif, un principe simple : transformer la mélasse, résidu visqueux longtemps considéré comme un déchet, en un alcool rectifié à 96 degrés utilisable par les secteurs des spiritueux, de la pharmacie et de la cosmétique. Le procédé exploite la fermentation naturelle des sucres résiduels avant une double distillation à haute température. « Avec une capacité nominale de six millions de litres par campagne, nous fermons enfin le cycle de la canne », explique Olivier Parent, PDG de Somdia. Chaque tonne de canne à sucre se voit ainsi dotée d’une seconde vie, gage d’une meilleure rentabilité agronomique et d’une diminution des volumes de matières rejetées.
L’investissement, chiffré à 17 milliards de francs CFA, inclut un volet formation exécuté dans les ateliers du constructeur français et sur site. Une soixantaine de techniciens, majoritairement originaires de la région, ont suivi un cursus accéléré de bio-chimie industrielle et de maintenance de colonnes à distiller. Le groupe espère, à terme, développer un centre de compétences ouvert aux étudiants de l’université Marien-Ngouabi, jetant un pont entre le monde académique et la nouvelle industrie de la biomasse.
Impact économique : vers une souveraineté industrielle
Chaque année, les industriels congolais importaient plusieurs millions de litres d’alcool neutre, principalement d’Europe et d’Asie. En internalisant cette production, la balance commerciale se soulage d’une facture en devises, tandis que les entreprises locales gagnent en réactivité d’approvisionnement. « Nos carnets de commandes affichaient parfois trois mois de transit maritime », confie le directeur d’une brasserie de Pointe-Noire. Désormais, quelques centaines de kilomètres séparent la cuve de fermentation du consommateur final, ouvrant la voie à des économies logistiques substantielles.
L’emploi direct reste, pour l’instant, saisonnier : cinq mois d’exploitation suivis de sept mois de maintenance lourde. Toutefois, l’onde de choc profite aux transporteurs, agriculteurs et petits fournisseurs de pièces mécaniques. Une étude du Centre congolais d’analyse économique estime que chaque poste créé à la distillerie induira entre trois et quatre emplois supplémentaires dans l’écosystème régional. Dans un département où le chômage des jeunes dépasse 20 %, le signal n’est pas anodin.
Enjeux environnementaux et attentes citoyennes
L’enthousiasme initial ne gomme pas les interrogations relatives à l’impact écologique. Le rejet des vinasses – effluents issus de la distillation – vers la rivière Niari mobilise associations de pêcheurs et comités de village. « Il faut que l’entreprise protège nos poissons et nos puits d’eau », martèle un notable de Madingou, rappelant la fragilité des ressources halieutiques locales. Somdia assure avoir installé un système de lagunage anaérobie et des filtres à lit bactérien capables de réduire la charge organique au-delà des normes de l’Organisation mondiale de la santé.
Le ministère de l’Environnement, associé dès la phase d’ingénierie, a fixé un calendrier d’audits semestriels. Un laboratoire mobile, livré par la coopération allemande, permettra de mesurer in situ la qualité des eaux. « Nous voulons une industrialisation sobre en carbone et exemplaire sur le plan sanitaire », insiste Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, rappelant que le projet s’inscrit dans la Contribution déterminée au niveau national déposée par le Congo dans le cadre de l’Accord de Paris.
Perspectives pour la jeunesse de la Bouenza
Plus qu’une usine, la distillerie de Moutela est perçue comme un laboratoire d’opportunités pour la jeunesse congolaise. Le lycée technique de Nkayi vient d’intégrer un module « bioprocédés et énergies renouvelables » à son programme. Plusieurs bacheliers ont obtenu des bourses d’alternance leur permettant de passer la moitié de l’année entre les amphithéâtres et les salles de contrôle de la distillerie. « Nous voulons bâtir une génération d’opérateurs capables de piloter un panel d’industries bio-sourcées », résume le proviseur, convaincu que les filières agricoles ont vocation à rejoindre les technologies de pointe.
En arrière-plan, le gouvernement réfléchit à l’établissement d’un corridor agro-industriel reliant la Bouenza au Kouilou, articulé autour du rail Congo-Océan réhabilité. De l’éthanol à l’engrais organique, en passant par l’électricité issue de la bagasse, c’est tout un bouquet d’activités connexes qui pourrait émerger. Dans une région longtemps perçue comme grenier agricole mais orpheline d’usines, la distillerie de Moutela se pose en pierre angulaire, promesse d’un avenir où le talent et l’ambition des jeunes trouveront un terrain d’expression à domicile.