Une signature qui reconfigure la carte logistique nationale
Le 19 juillet, dans les salons feutrés d’un grand hôtel de Brazzaville, la direction générale du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) et les représentants du conglomérat turc Ulsan Mining Congo S.A.U. ont paraphé une convention de plus de 737 millions d’euros. L’accord scelle la réhabilitation intégrale de la voie ferrée Mayoko–Pointe-Noire, artère stratégique longue d’environ 312 kilomètres. À travers cette opération, l’État congolais confirme son ambition de repositionner le rail comme vecteur majeur de désenclavement et d’intégration des marchés intérieurs, tout en confortant la vocation portuaire de Pointe-Noire.
Un investissement privé international à l’appui de la diversification économique
Le financement est intégralement porté par Ulsan Holding, un acteur turc déjà engagé dans l’extraction du fer de Mayoko-Moussondji. L’entreprise entend amortir son effort financier par une synergie logistique : elle pourra acheminer, à terme, six millions de tonnes de minerai par an vers la zone économique spéciale de Pointe-Noire. L’engagement illustre la stratégie nationale de diversification économique, voulue par le président Denis Sassou Nguesso et traduite dans le Plan national de développement, qui vise à réduire la dépendance aux hydrocarbures en valorisant les ressources minières et l’industrie de transformation.
Technologies ferroviaires : rénovation lourde et matériel de pointe
Les équipes d’ingénierie ont établi un calendrier de travaux sur trente mois. Il comprend la remise à niveau de la plateforme, la pose de rails à haute résistance de type 60 kg/mètre et la modernisation de vingt-six ouvrages d’art. Ulsan prévoit l’acquisition de vingt locomotives électriques-diesel hybrides de dernière génération et de trois cents wagons trémie, un saut qualitatif par rapport au parc vieillissant du CFCO. Selon Ignace N’Ganga, directeur général de l’opérateur public, « l’association d’un rail plus lourd et d’une motorisation hybride permettra de porter la vitesse commerciale de 30 km/h à près de 70 km/h, doublant la productivité tout en réduisant de 40 % la consommation de carburant ».
Effets d’entraînement sociaux pour les jeunes actifs
Le chantier mobilisera jusqu’à 2 500 ouvriers, dont une large proportion de techniciens sénior et junior formés dans les lycées techniques de Pointe-Noire, Dolisie et Brazzaville. À long terme, l’exploitation de la ligne devrait créer plus de 5 000 emplois directs et indirects, dans la maintenance ferroviaire, la logistique portuaire et les services connexes. Pour la sociologue Sylvie Koumba, ce type de projet « consolide l’employabilité des 20-35 ans en offrant des parcours qualifiés sur le territoire national, atténuant ainsi la tentation de l’exode professionnel ». Les communes rurales traversées, aujourd’hui difficiles d’accès, bénéficieront de nouvelles haltes, favorisant l’écoulement des produits agricoles et l’émergence de micro-entreprises de commerce.
Pointe-Noire, futur hub métallurgique régional
Au-delà du rail, Ulsan Holding projette une fonderie d’un coût estimé à 2 milliards de dollars. Implanté à proximité immédiate du port en eau profonde, le complexe convertira le minerai en brames d’acier et en billettes destinées à la construction et à la mécano-soudure. Le ministère des Mines avance une capacité cible de 1,2 million de tonnes d’acier par an, soit de quoi couvrir la totalité de la demande locale et exporter vers la sous-région CEEAC. L’Institut national de la statistique anticipe, pour la seule phase de transformation, un gain de trois points de valeur ajoutée industrielle dans le PIB d’ici 2029.
Défis opérationnels et garanties institutionnelles
Les autorités sont conscientes des aléas inhérents à un chantier ferroviaire de cette ampleur : contraintes hydrologiques dans la cuvette congolaise, instabilité de certaines collines latéritiques, et sécurité des équipements. Pour rassurer les investisseurs, le gouvernement a institué un comité de suivi interministériel présidé par la ministre des Transports, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas. Le comité dispose de pouvoirs d’arbitrage rapides et d’une cellule de médiation foncière afin d’atténuer les litiges potentiels avec les communautés riveraines. Par ailleurs, un volet environnemental, conforme aux normes ISO 14001, impose la réhabilitation des pistes de service et le reboisement des zones temporairement défrichées.
Un signal fort dans la coopération Congo-Turquie
Le projet ferroviaire s’inscrit dans la dynamique bilatérale amorcée lors de la visite du président Recep Tayyip Erdoğan à Brazzaville en 2022. En encourageant les firmes turques à investir dans des infrastructures à haute valeur ajoutée, le Congo capitalise sur un partenaire dont l’expertise dans la construction lourde n’est plus à démontrer. Pour Bocar Maïga, porte-parole d’Ulsan Holding, « le rail et la sidérurgie composent un tandem créateur de prospérité partagée ». L’accord reflète aussi la vision du chef de l’État congolais, qui multiplie les initiatives structurantes pour accélérer la transition vers une économie industrialisée et inclusive, tout en renforçant l’image du pays comme plate-forme logistique du golfe de Guinée.