Un dernier cortège qui concentre l’histoire récente du Congo
Il est un peu plus de dix heures, mercredi 25 juin, quand la dépouille de Martin Mbéri franchit les grilles du Palais des congrès. À l’intérieur, les fauteuils rouges sont occupés par les représentants des trois pouvoirs, des délégations diplomatiques et une jeunesse en quête de repères historiques. Le chef de l’État Denis Sassou-Nguesso, accompagné de la Première Dame, ouvre le registre des condoléances par une formule condensant six décennies de connivence politique : « Les vraies amitiés résistent aux vicissitudes de la vie, notamment la vie politique ». La phrase, inscrite d’une écriture sobre, rappelle que l’itinéraire du défunt épouse celui du Congo moderne, fait d’alliances inébranlables et de virages parfois abrupts.
D’un lycée de Dolisie aux arcanes du pouvoir, la trajectoire d’un pragmatique
Né en 1940 à Mouyondzi, Martin Mbéri fait partie de cette génération qui a découvert l’indépendance alors qu’elle peaufinait ses humanités. Diplômé d’économie appliquée à Paris au début des années soixante, il rentre précipitamment pour accompagner les premiers gouvernements de la République. Tour à tour directeur de cabinet, député, puis ministre, il s’impose comme un artisan du compromis. À la faveur de la Conférence nationale souveraine de 1991, il devient l’un des animateurs de la transition plurielle. Son œcuménisme, vanté tant par la majorité que par l’opposition, explique sans doute la confiance renouvelée que lui accordera, après le conflit de 1997, le président Sassou-Nguesso en lui offrant le portefeuille stratégique de la Construction et de l’Urbanisme.
Les turbulences du dialogue national : un idéal jamais renié
À peine quatre ans après son retour au gouvernement, Martin Mbéri choisit, en 2001, de quitter le Conseil des ministres pour se consacrer corps et âme à l’Union panafricaine pour la démocratie sociale. « Il pensait que le pluralisme s’apprend à l’intérieur d’un parti autant que dans les institutions », confie un ancien collaborateur. Nommé plus tard secrétaire permanent du Conseil consultatif du dialogue, il plaide sans relâche pour une plateforme inclusive visant à anticiper les crises plutôt qu’à les éteindre. Faute de consensus sur le format, le projet reste en jachère, mais le diplomate ne reniera jamais cette ambition, persuadé qu’« aucune société ne se bâtit durablement sans conversation permanente avec elle-même ».
Le Mausolée Marien Ngouabi, un lieu de mémoire et de pédagogie politique
En acceptant que la dépouille de Martin Mbéri repose, fût-ce provisoirement, aux côtés du président Marien Ngouabi, la famille et les sages de la Bouenza inscrivent le disparu dans une continuité historique prestigieuse. À l’ombre des allées de flamboyants, le mausolée devient une salle de classe à ciel ouvert pour les jeunes visiteurs. Ils y découvrent que l’amitié politique, loin d’être un simple échange de faveurs, se nourrit de loyauté, de désaccords francs et, parfois, d’abnégation. Cette pédagogie mémorielle résonne particulièrement dans une époque où l’engagement partisan peine à séduire les nouvelles générations.
Une postérité à la croisée des aspirations de la jeunesse congolaise
En filigrane des discours prononcés lors des obsèques, une même exhortation apparaît : faire de l’héritage de Martin Mbéri un levier pour réhabiliter le sens du service public. Devant les étudiants de la Faculté des lettres venus former une haie d’honneur, le sociologue Jean-Pierre Massanga souligne qu’« il ne faut pas réduire la réussite politique à la longévité, mais à la capacité de transmettre des institutions solides ». L’appel trouve un écho dans la foule de jeunes professionnels connectés, prompts à relayer la cérémonie sur les réseaux sociaux. Ils y voient la confirmation qu’un parcours d’État peut mêler ambition personnelle, loyauté et attachement au débat serein.
Au-delà de la tristesse, une invitation à réinventer le débat civique
À la tombée de la nuit, le mausolée referme ses portes sur un cercueil drapé aux couleurs nationales. L’émotion, palpable, ne saurait masquer le message institutionnel : l’État rend hommage à l’un de ses serviteurs les plus constants, tout en rappelant que le socle républicain se nourrit de paroles échangées plutôt que d’oppositions stériles. Pour nombre d’observateurs, l’éthique de la discussion défendue par Martin Mbéri peut inspirer les forums citoyens annoncés par les autorités. Si, comme l’a martelé le président de la République, « les vraies amitiés résistent au temps », les idées, elles, ne meurent jamais vraiment. Elles circulent, se transforment et finissent par irriguer de nouvelles générations prêtes à conjuguer mémoire et innovation.