Retour vibrant sur la deuxième journée
La cour intérieure du siège des Anciens Enfants de Troupe bourdonnait encore, ce samedi, pour la deuxième journée de la rentrée littéraire 2025. Sous un velum protecteur, étudiants, professeurs et curieux se pressaient pour écouter les critiques promises sur trois ouvrages décapants.
Le président national, le général à la retraite Rémy Ayayos Ikounga, a lancé les échanges en rappelant que la plume restait « l’arme pacifique » des anciens pensionnaires. Le ton était donné, mélange d’érudition militaire et de passion pour les lettres.
Selon les organisateurs, plus de cent cinquante lecteurs ont signé la feuille de présence, un record pour la jeune rentrée littéraire. Les stories Instagram diffusées en direct ont, elles, dépassé les dix mille vues en fin d’après-midi.
Trois livres, trois ambiances littéraires
Au menu, le roman court « Le clochard », la fresque contemporaine « L’intruse du Khalifat » et deux recueils de poésie signés du prolifique Charles N’Kouanga, « Hosties Marlyques » et « Odes Leyennes ». Quatre genres pour tester autant de sensibilités.
« Le clochard », premier texte abordé, dépeint la marginalité urbaine avec un humour noir qui a fait rire la salle. Les commentateurs y voient un clin d’œil aux réalités de Brazzaville : débrouillardise, petites combines et solidarité improvisée sous les ponts.
La discussion était modérée par Armand Elenga, salué pour son énergie. Autour de lui, Jessy Loemba, doctorant en droit, le coach en art oratoire Patherson Mouckaulho Itsissa et le Dr Rosin Loemba disséquaient chaque page, citations à l’appui, devant un public suspendu à leurs mots.
Le public, majoritairement jeune, découvrait l’ampleur de la production interne de l’AET : 2 199 pages rien que pour N’Kouanga, selon le décompte facétieux de la thématique du jour. Une statistique qui a fait lever quelques sourcils admiratifs.
Aminata, héroïne aux allures de moudjahidine
Vedette inattendue de la séance, Aminata, protagoniste de « L’intruse du Khalifat », a monopolisé la joute d’idées. Patherson Mouckaulho Itsissa, dans un exposé de vingt minutes, a détaillé sa trajectoire fulgurante : enseignante prometteuse, convertie deux fois, puis guerrière sans retour.
Le critique a souligné que l’action se déploie au Kakongo, territoire fictif rappelant les fronts sahéliens. Wali, sa capitale économique, vibre sous les menaces de groupes armés inspirés de Boko Haram, offrant une toile réaliste sans jamais citer un pays réel.
« Nous quittons les questions d’amour pour des questions sécuritaires », a lancé Patherson, applaudi. La phrase a résonné, tant la littérature congolaise actuelle explore souvent l’intime. Ici, l’auteur préfère ausculter la violence mondiale et la convertir en destin personnel déchirant.
Aminata passe du christianisme à l’islam radical, épouse Mustapha, croise un marabout influent et finit devant le redouté khalife Aboubacar. Un parcours que certains étudiants ont comparé, micro en main, aux dérives contemporaines filmées sur les réseaux.
Un miroir des enjeux sécuritaires africains
Les orateurs ont replacé le roman dans le sillage des débats sur le terrorisme régional. Le Sahel fait régulièrement la une, et le Congo suit les initiatives de coopération pour la paix. La fiction devient ainsi laboratoire d’empathie et d’anticipation.
Dr Rosin Loemba a rappelé que la transformation d’Aminata s’accompagne d’un lexique pointu : néo-djihadiste, khalifat, État islamique. « Ces mots ne sont pas gratuits, ils cartographient une idéologie », a-t-il déclaré, invitant les auditeurs à maintenir un esprit critique face aux discours radicaux.
Dans la salle, quelques anciens camarades de promotion, désormais officiers supérieurs, voyaient une vertu pédagogique à l’ouvrage : expliquer les ressorts de la radicalisation aux jeunes recrues, sans dramatiser. L’idée d’un partenariat avec l’Éducation nationale a été timidement évoquée.
Le roman questionne aussi la condition féminine, car la protagoniste choisit elle-même sa voie guerrière. Pour Jessy Loemba, cette autonomie, même tragique, illustre « la complexité des libertés dans des contextes extrêmes ». Une nuance qui a nourri un débat animé.
Poésie et identité culturelle
En contrepoint, les poèmes spirituels de Charles N’Kouanga ont apporté douceur et introspection. Leur musicalité a été mise en relief par des lectures scéniques d’Aristide J. Johnson, ponctuées d’applaudissements. La balance émotionnelle de la journée s’est ainsi trouvée rétablie.
Les enseignants présents ont insisté sur la richesse lexicale de ces vers, comparant la musicalité au mikongo traditionnel. Pour eux, N’Kouanga réussit à « faire danser la langue française au rythme du tam-tam », une belle image reprise en chœur par les étudiants.
Échanges interactifs et projets futurs
Le micro a ensuite circulé librement. Questions sur la symbolique des prénoms, interrogations sur la violence sacrificielle, demandes de conseils d’écriture : la salle ne voulait plus lâcher les intervenants. La diversité des préoccupations confirmait la vitalité de la scène littéraire congolaise.
En clôture, Rémy Ayayos Ikounga a annoncé la préparation d’un concours d’écriture ouvert aux lycéens de Brazzaville et Pointe-Noire. L’objectif : sélectionner de nouvelles voix pour la prochaine rentrée du livre et maintenir l’élan créatif observé cette année.
Rendez-vous est pris pour la troisième journée, dédiée aux littératures d’enfance. Entre la ferveur des débats et les éclats de slam improvisé dans les allées, la rentrée du livre de l’AET confirme qu’elle s’impose comme un moment fort du calendrier culturel congolais.
