Une décennie de croissance hors normes
Lorsque le professeur Benedict Oramah prit les commandes d’Afreximbank en juin 2015, l’institution pesait déjà dans le financement du commerce continental, mais son empreinte demeurait limitée. Dix ans plus tard, les comptes certifiés affichent 43,5 milliards de dollars d’actifs et garanties, contre à peine 5,3 milliards à son arrivée. Le chiffre d’affaires a suivi la même trajectoire ascendante, culminant à 3,24 milliards de dollars pour l’exercice 2024, tandis que le bénéfice net a franchi, pour la première fois, le seuil symbolique du milliard de dollars. Les fonds propres, eux, se sont hissés à 7,5 milliards grâce à une levée de capital jugée « historique » par plusieurs analystes basés à Johannesburg.
Ces agrégats, loin de n’être qu’une collection de zéros flatteurs, attestent d’un changement de paradigme : Afreximbank n’est plus uniquement un pourvoyeur de crédits à court terme pour l’export, mais un conglomérat financier à cheval sur la banque d’investissement, l’engineering industriel et les services d’infrastructure monétaire. L’agence Fitch, dans sa dernière notation, souligne d’ailleurs « une qualité d’actifs robuste et une diversification financière telles qu’on ne les rencontre que chez les institutions multilatérales de premier rang ».
Un bouclier face aux secousses économiques
Entre l’effondrement des cours pétroliers en 2015, la pandémie de COVID-19 et les perturbations logistiques imputables à la guerre en Ukraine, les économies africaines ont essuyé coup sur coup trois chocs exogènes majeurs. Dans chaque épisode, Afreximbank a fonctionné comme stabilisateur systémique, déployant plus de 70 milliards de dollars pour garantir l’importation de produits essentiels, refinancer des banques commerciales fragilisées et sécuriser l’acquisition de vaccins. À Brazzaville, les injections de liquidités ont permis de préserver les lignes de crédit indispensables au secteur privé, notamment dans l’agro-distribution et le transport fluvial, sources d’emplois pour la jeunesse urbaine.
Le professeur Oramah revendique cette posture anticrise : « Il ne suffit pas de prêter, il faut amortir le choc et préparer la relance », déclarait-il lors des assemblées annuelles de la Banque tenues à Abuja en juin 2025. Une philosophie qui trouve un écho favorable auprès des jeunes entrepreneurs congolais, souvent confrontés à la frilosité des bailleurs traditionnels.
Relocaliser les chaînes de valeur africaines
Au-delà de la riposte conjoncturelle, la décennie Oramah a été marquée par une stratégie industrielle volontariste. Des mégaprojets tels que le complexe pétrochimique de Dangote au Nigeria ou les zones économiques spéciales développées par Arise IIP, du Gabon au Bénin, recèlent une ambition claire : substituer les importations par une production locale compétitive. Afreximbank vise désormais 100 000 hectares de zones industrielles à l’horizon 2030, soit l’équivalent de la superficie du département du Niari, haut lieu agricole du Congo-Brazzaville.
Pour la jeunesse congolaise, ces investissements ne sont pas de simples abstractions comptables. L’installation annoncée d’une plateforme de transformation du bois à Pointe-Noire, financée partiellement par la banque et par le Fonds souverain de la République du Congo, promet de créer des centaines d’emplois qualifiés et de stimuler un tissu de PME sous-traitantes.
La santé, nouveau pilier stratégique
La crise sanitaire mondiale a soudainement rappelé la vulnérabilité du continent en matière de production pharmaceutique. En réponse, Afreximbank a mobilisé 300 millions de dollars pour ériger à Abuja le premier Centre médical d’excellence africain, épaulé par un fonds de recherche de 600 millions. Au-delà du symbole, l’initiative inaugure une série de pôles biomédicaux régionaux. Brazzaville, qui abrite déjà l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique, se positionne pour accueillir un campus satellite orienté vers la logistique vaccinale et la formation en biotechnologies.
Cette orientation sanitaire fait écho aux aspirations d’une génération congolaise de plus en plus préoccupée par les débouchés professionnels dans les sciences de la vie, domaine jusque-là sous-financé au plan local.
Vers une intégration monétaire accélérée
Le déploiement de PAPSS, le système panafricain de paiement en monnaies locales, constitue peut-être l’innovation la plus disruptive de la période 2015-2025. Opérationnel dans seize pays, il fluidifie les règlements intrarégionaux sans passer par le dollar. À ceci s’ajoutent une carte de paiement panafricaine et un marché de change intra-africain, outils qui, combinés, ont fait passer la part du commerce intrarégional financé par la Banque de 3 % à 32 %. Pour les jeunes start-up congolaises actives dans l’e-commerce, la possibilité de facturer en franc CFA et d’être créditées en naira ou en cédi, sans frais exorbitants, change littéralement l’équation de la croissance.
L’intégration monétaire ainsi amorcée constitue un socle pratique à la Zone de libre-échange continentale africaine, souvent perçue comme un traité lointain. Elle invite les entrepreneurs de Brazzaville, Owando ou Dolisie à envisager Abidjan, Kigali ou Le Caire non comme des marchés étrangers, mais comme des extensions naturelles de leur clientèle.
Cap sur 2035 : consolider pour amplifier
Avec plus de 155 milliards de dollars déployés en dix ans, le legs de Benedict Oramah est tangible. Pourtant, le défi de la prochaine décennie réside dans l’accès à des ressources concessionnelles de long terme, indispensables pour les projets à maturité lente, qu’il s’agisse d’autoroutes vertes ou de fibre optique transfrontalière. La nouvelle unité de financement concessionnel d’Afreximbank devra donc convaincre des investisseurs publics et privés dans un contexte géopolitique fragmenté.
Le conseil d’administration a fixé un objectif de 250 milliards d’actifs d’ici 2035. Pour y parvenir, l’institution devra non seulement préserver la robustesse de son bilan, mais aussi renforcer ses partenariats avec les États membres de la CEMAC, dont le Congo-Brazzaville, afin d’aligner les priorités industrielles nationales sur les programmes continentaux. L’enjeu, pour les jeunes adultes congolais, est limpide : une banque africaine plus puissante signifie des opportunités d’emplois et de projets à domicile, sans nécessité d’exil économique.
Dans un monde traversé par les incertitudes climatiques et géopolitiques, l’expérience Oramah démontre qu’une gouvernance panafricaine audacieuse peut déplacer les lignes. À l’heure où le flambeau passe à une nouvelle équipe dirigeante, les bases semblent suffisamment solides pour que l’Afrique – et le Congo-Brazzaville avec elle – transforme l’essai.