Ascension de Kéfil Saka à Cotonou
À Cotonou, les couloirs lumineux de l’Africa Design School résonnent déjà du nom de Kéfil Saka. À 34 ans, l’entrepreneur béninois dirige un établissement qui fait rimer créativité et débouchés, attirant de plus en plus de jeunes d’Afrique centrale et de la diaspora.
Son parcours ne semblait pourtant pas le mener vers le design. Formé à la banque, à la finance puis au contrôle de gestion, il passait ses soirées derrière une machine à coudre, expérimentant déjà couleurs et textures qu’il verrait plus tard envahir ses salles de classe.
En 2018, après plusieurs événements culturels organisés au Bénin, il choisit Paris pour compléter son horizon académique. Les bancs de l’Université Paris-Seine, section communication et humanités numériques, deviennent son laboratoire, tandis que l’agence Vice Media l’initie à la direction artistique contemporaine.
Revenu à Cotonou, il est rapidement repéré par les fondateurs de l’Africa Design School, fruit d’un partenariat entre le gouvernement béninois et l’École de Design Nantes Atlantique. Responsable pédagogique d’abord, il est nommé directeur exécutif un an plus tard avec un mandat clair : contextualiser le design.
Au cœur de sa stratégie se trouve l’histoire de l’art africain. « Nos étudiants doivent connaître Nok autant que Bauhaus », glisse-t-il en visitant le studio photo. L’école délivre le Diplôme National des Métiers d’Art et du Design, certification française transposée aux réalités créatives locales.
Pédagogie axée sur l’employabilité
Former pour l’emploi reste cependant la priorité. Les cursus de licence et de master alternent cours théoriques et projets réels confiés par des banques, des startups numériques ou des maisons de mode. Chaque brief devient un examen grandeur nature, et chaque prototype une carte de visite professionnelle.
Le design numérique occupe une place de choix. Les étudiants conçoivent des interfaces mobiles destinées aux services financiers, un secteur en plein boom sur le continent. La compétence UX/UI, scrutée par les recruteurs, ouvre la porte de grandes entreprises régionales, y compris au Congo-Brazzaville.
Le design graphique n’est pas en reste. Identités visuelles, campagnes d’affichage et packaging agroalimentaire s’élaborent ici en tenant compte des marchés locaux. « Notre rôle est de multiplier les signaux qui rassurent les marques africaines », insiste le directeur, conscient de l’enjeu économique.
Dans l’atelier de prototypage, les planches de contreplaqué côtoient les imprimantes 3D. Les modules consacrés au mobilier, au textile et à la chaussure démontrent que le design d’objet peut répondre aux besoins d’urbanisation rapide observés de Pointe-Noire à Kinshasa.
Cette approche transversale séduit les entreprises. Plusieurs banques béninoises ont déjà recruté les premières promotions pour optimiser leurs applications. De son côté, une agence de Brazzaville s’est adjugé trois diplômés pour dynamiser sa stratégie de marque, preuve que l’école devient un vivier régional.
Un campus ouvert sur l’Afrique
L’Africa Design School revendique aujourd’hui plus de vingt nationalités sur le campus. Béninois, Sénégalais, Congolais, Camerounais et même Rwandais partagent les mêmes ateliers. Pour les étudiants de la diaspora, le programme combine standards européens et perspective africaine, un équilibre encore rare dans l’enseignement supérieur.
Partenariats et compétitions internationales
L’établissement aligne aussi les collaborations. Avec l’IFM et Sèmè City, il pilote FLY, un incubateur qui soutient les jeunes marques de mode. Le futur campus dans la cité de l’innovation offrira laboratoires textiles, fablabs et espaces de coworking pour faire éclore une nouvelle génération d’entrepreneurs.
Sous l’impulsion de Kéfil Saka, l’African International Design Award voit également le jour. Organisé avec Tereso Awards, ce prix distingue les solutions créatives capables d’améliorer la vie quotidienne, de la gestion des déchets plastiques aux plateformes de télémédecine adaptées aux zones semi-urbaines.
Opportunités pour la jeunesse congolaise
Le directeur n’oublie pas le volet sensibilisation. Durant les portes ouvertes, il invite parents et décideurs politiques afin de déconstruire l’idée que le design serait un luxe. « Nos industries culturelles peuvent créer de la valeur et de l’emploi durable », affirme-t-il, chiffres d’exportation à l’appui.
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, plusieurs organisations professionnelles suivent de près ce discours. Le secteur privé congolais, engagé dans la diversification économique, voit dans la créativité un relais de croissance aux côtés des hydrocarbures. Les synergies envisagées devraient favoriser des stages croisés et des programmes de mentorat.
En attendant, Kéfil Saka poursuit sa mission : forger une école panafricaine capable d’inspirer et d’embaucher. Son ambition reflète l’élan d’une jeunesse connectée, prouvant que l’innovation ne connaît pas de frontières et que Brazzaville, Cotonou ou Dakar peuvent dialoguer sur un même clavier créatif.
Innovations éco-design en vue
Pour 2025, l’ADS prévoit le lancement d’un programme court dédié à l’éco-design, sujet crucial face aux enjeux climatiques. Les étudiants apprendront à transformer déchets organiques en matériaux innovants, répondant aux attentes d’architectes et de municipalités africaines.
Un premier prototype de pavé urbain réalisé à base de fibres de bananier a déjà remporté l’intérêt d’une start-up congolaise spécialisée dans la voirie verte. Saka y voit la preuve qu’un projet conçu à Cotonou peut être industrialisé à Oyo et commercialisé dans toute la sous-région.
