Vers une souveraineté numérique nourrie par l’afrofuturisme responsable
L’enthousiasme qui entoure l’intelligence artificielle sur les rives du fleuve Congo n’a rien d’un effet de mode. Il s’enracine dans une vision plus large, celle d’un afrofuturisme responsable qui promeut l’appropriation des technologies de rupture pour répondre aux priorités nationales. Dans les couloirs de l’Université Denis-Sassou-Nguesso de Kintélé, les discussions entre étudiants en data science et chercheurs en anthropologie soulignent la même conviction : les algorithmes n’ont de sens que s’ils dialoguent avec les réalités linguistiques, culturelles et environnementales du territoire. Cette quête d’une souveraineté numérique, saluée par plusieurs experts du Conseil économique et social, place l’IA au cœur d’un projet de société où innovation rime avec ancrage identitaire.
Le gouvernement, à travers le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, multiplie les partenariats pour garantir l’accès aux infrastructures de calcul haute performance. Selon le conseiller Luc Missidimbazy, la feuille de route officielle « met l’accent sur l’éthique, la formation et la protection des données, tout en stimulant la créativité entrepreneuriale ». Cet engagement institutionnel ouvre la voie à une dynamique où l’IA est pensée non pas comme un produit d’importation, mais comme un instrument d’émancipation collective.
Start-up et PME : catalyseurs d’un nouvel imaginaire économique durable
Trois jeunes entreprises congolaises sur dix intègrent désormais un module d’IA dans leur chaîne de valeur, d’après une étude conduite par l’incubateur BantuHub. Souvent qualifiées de fragiles, les PME locales révèlent en réalité une capacité d’adaptation remarquable. Qu’il s’agisse de diagnostiquer le manioc pour prévenir les maladies des cultures, d’optimiser les itinéraires des pirogues marchandes sur l’Alima ou de délivrer des consultations médicales par téléphone, l’IA devient un adjuvant stratégique. Mais la singularité du mouvement réside dans l’alignement méthodique avec les Objectifs de développement durable, transformés en référence commune pour les investisseurs, les collectivités et les consommateurs.
La société de micro-finance numérique MyCapital, dirigée par la jeune ingénieure Noëlla Mboungou, illustre cette évolution. Grâce à un algorithme de scoring inclusif, elle ouvre le crédit à des commerçantes rurales autrefois exclues des circuits bancaires, tout en conditionnant ses taux préférentiels au respect de critères ESG. Résultat : fidélisation de la clientèle, création d’emplois féminins et attractivité accrue auprès des bailleurs d’impact. « Les ODD ne sont pas un supplément d’âme, ils représentent notre boussole de compétitivité », confie la dirigeante.
Former, financer, réguler : les trois ressorts d’un écosystème IA inclusif
La formation constitue la première marche de l’édifice. Les lycées techniques de Pointe-Noire ont introduit des modules de programmation responsable qui initient les élèves à la conception d’outils prédictifs destinés à la gestion des déchets plastiques. Pour la professeure Sylvie Moukassa, « l’enjeu est de semer l’esprit critique avant même la maîtrise des lignes de code ». Le tissu académique s’ouvre également aux communautés open source, accélérant la diffusion d’une culture de collaboration.
Le financement suit, porté par un écosystème hybride mêlant banques locales, fonds panafricains et capital-risque diasporique. Les nouvelles incitations fiscales pour l’investissement dans les technologies vertes, votées en 2023, ont déjà permis de lever plusieurs millions de francs CFA pour des projets d’IA appliquée à l’agroforesterie. Parallèlement, la Banque de développement des États d’Afrique centrale teste un mécanisme de garantie publique spécifique aux start-up labellisées ODD.
Enfin, la régulation s’affine. L’Agence nationale de la cybersécurité œuvre à la création d’un cadre d’évaluation éthique des algorithmes, inspiré des standards de l’Union africaine. Cette initiative vise à renforcer la confiance des usagers et à protéger la propriété intellectuelle locale, condition sine qua non d’un marché numérique équilibré.
Du fleuve Congo aux forums internationaux : rayonnement d’une vision partagée
Le recentrage sur des solutions locales n’exclut pas une dimension continentale. La participation active de Brazzaville au Smart Africa Digital Academy et sa présence remarquée au dernier Sommet IA pour le bien commun à Kigali illustrent cette ambition. Les start-up congolaises y ont présenté des applications capables de traduire instantanément le lingala en français simplifié, facilitant l’accès à l’information de santé pour les mères de famille.
Au-delà des frontières, cette approche holistique trouve un écho favorable. Plusieurs laboratoires européens s’intéressent à la robustesse des modèles de climat tropical développés à Dolisie, tandis que des universités canadiennes envisagent des échanges croisés d’étudiants. La diaspora, en véritable trait d’union, apporte mentorat, capital et résonance médiatique.
Le sociologue camerounais Alain Fogue rappelle que « l’originalité de l’afrofuturisme responsable tient à sa capacité à conjuguer fierté identitaire, rigueur scientifique et conscience environnementale ». C’est cette triangulation qui confère à l’initiative congolaise sa légitimité et son pouvoir d’influence.
Un horizon inclusif où la jeunesse façonne l’innovation responsable
À l’heure où la planète recherche des modèles de croissance à la fois performants et soutenables, l’IA congolaise, nourrie de la trame des Objectifs de développement durable, propose une voie singulière. Elle offre à la jeunesse un terrain d’expression professionnelle qui conjugue compétence technique, engagement citoyen et esprit d’entreprise. Les témoignages convergent : dans les fablabs de Brazzaville, l’imagination fertile des codeurs rencontre la sagesse des agronomes pour dessiner des solutions applicables dès demain.
Ainsi se nourrit la promesse d’une prospérité qui ne sacrifie ni la dignité humaine ni le patrimoine naturel. En incarnant cette promesse, le Congo-Brazzaville contribue au récit global d’une Afrique créative et résiliente, capable non seulement de suivre la révolution numérique, mais de l’orienter au service du vivant.
