Des capitaux patients à la recherche d’ancrage durable
Dans le paysage encore mouvant de la finance à impact, le groupe allemand ASC Impact fait figure d’acteur pionnier en dirigeant une partie de ses capitaux vers l’Afrique subsaharienne. L’Angola, l’Éthiopie et surtout la République du Congo constituent les trois têtes de pont de cette stratégie qui marie rentabilité et responsabilité sociale. « Le Congo possède des atouts, à la fois sur la foresterie et l’agriculture », souligne Karl Ernst Kirchmayer, président d’ASC Impact, soulignant que le pays a endossé avec constance les Objectifs de développement durable. Sur le plan politique, la constance affichée par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, dans la défense de la cause environnementale rassure les bailleurs qui inscrivent leurs engagements sur plusieurs décennies.
Le mariage forêt-agriculture, un modèle congolais en gestation
Avec près de dix millions d’hectares de terres arables dont moins de 3 % exploités, la République du Congo dispose d’une marge de progression considérable. Parallèlement, son taux de déforestation de 0,06 % figure parmi les plus bas de la planète, renforçant l’idée d’un « grenier vert » encore largement préservé. Le modèle proposé par ASC Impact repose sur une complémentarité : développer des plantations agro-industrielles tout en valorisant des programmes d’afforestation et de reboisement. En pratique, l’entité Agricaf Congo se concentre sur la culture vivrière et d’exportation, Transfor Congo sur la transformation locale des produits, et Aforest-Congo sur la gestion forestière certifiée. L’ambition affichée consiste à prouver qu’une agriculture intensive en emplois peut coexister avec une sylviculture régénérative, permettant ainsi au pays de diversifier son économie sans compromettre ses engagements climatiques.
Les Zones économiques spéciales d’Oyo-Ollombo, Kingoué et Nyanga en vitrine
Le cœur opérationnel de la coopération germano-congolaise se situe aujourd’hui dans trois Zones économiques spéciales. À Oyo-Ollombo, 160 000 hectares sont en cours d’aménagement pour accueillir plantations, scieries et unités d’agro-transformation. Kingoué dispose de 23 000 hectares supplémentaires, tandis que Nyanga en mobilise 9 200. Ces espaces, dotés d’infrastructures prioritaires et de régimes fiscaux incitatifs, visent à attirer d’autres investisseurs complémentaires. Les autorités congolaises y voient un laboratoire grandeur nature de la diversification économique : passage de la simple exportation de grumes ou de cacao à la commercialisation de produits finis à plus forte valeur ajoutée. Les protocoles signés prévoient également la création de centres de formation technique afin d’arrimer la main-d’œuvre locale aux standards internationaux.
Diplomatie économique et passerelle austro-congolaise
Si les sièges sociaux des filiales d’ASC Impact se trouvent à Brazzaville, c’est à Vienne que se sont nouées ces dernières semaines les discussions décisives. « Nous souhaitions installer une relation durable entre l’Autriche et le Congo, tant politique qu’économique », confie Karl Ernst Kirchmayer. Les ministres congolais Jean-Marc Thystère-Tchicaya et Rosalie Matondo y ont rencontré leurs homologues autrichiens, visitant notamment Hasslacher Holzindustrie, spécialiste mondial du bois lamellé, et la Brasserie Hirt, symbole d’un savoir-faire pluriséculaire. En toile de fond, l’ouverture annoncée d’une ambassade congolaise à Vienne et le soutien à la candidature de Firmin Édouard Matoko à la tête de l’UNESCO illustrent un usage assumé de la diplomatie culturelle pour renforcer l’attractivité des projets verts.
Calendrier prudent mais indicateurs tangibles
Le développement de concessions de plusieurs dizaines de milliers d’hectares exige une ingénierie foncière complexe, depuis la délimitation cadastrale jusqu’à la levée du droit d’usage traditionnel. ASC Impact assume cette temporalité longue : les baux emphytéotiques dépassent souvent quatre décennies, gage de stabilité pour les investisseurs. Les premiers tableaux de bord, attendus d’ici à dix-huit mois, mesureront la progression des travaux de reboisement, la mise en culture des parcelles pilotes et la montée en puissance des unités de sciage. À terme, le consortium table sur la création de milliers d’emplois directs, la réduction de 2 millions de tonnes d’équivalent CO₂ et l’augmentation de la part de produits transformés dans les exportations congolaises. Les autorités nationales, qui ont fait de l’économie verte un pilier de la Stratégie 2022-2026, suivent ces indicateurs avec attention.
Jeunesse congolaise, acteur clé d’une écologie rentable
Les 70 % de Congolais âgés de moins de 35 ans constituent la ressource la plus décisive du projet. Les partenariats signés prévoient des bourses d’apprentissage en autriche, des modules de formation en digitalisation agricole et des certifications forestières reconnues par le Programme for the Endorsement of Forest Certification. « Il ne s’agit pas seulement d’exploiter des terres, mais de former les futurs ingénieurs, transformateurs et entrepreneurs verts du pays », insiste un conseiller technique du ministère de la Diversification économique. À l’heure où beaucoup de jeunes envisagent l’exil pour des raisons d’emploi, l’apparition d’une filière agro-industrielle moderne ouvre des perspectives d’insertion locale et de création de start-ups spécialisées dans la logistique, la gestion de données climatiques ou la transformation alimentaire. En offrant un horizon professionnel, l’investissement durable devient aussi un facteur de stabilité sociale et de fierté nationale.