Brazzaville explore les horizons post-pétrole
Dans la moiteur de juillet, le centre-ville de Brazzaville bruisse d’un murmure inhabituel : les projecteurs sont braqués sur une table ronde nationale consacrée à l’après-pétrole. À l’initiative de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, cette consultation s’étire sur deux journées décisives, les 10 et 11 juillet, et réunit responsables ministériels, capitaines d’industrie, chercheurs, investisseurs et représentants de la société civile. La question centrale est claire : comment façonner une économie résiliente, moins dépendante de l’or noir, tout en soutenant l’ambition gouvernementale de croissance inclusive ?
Le Congo, quatrième producteur de pétrole du golfe de Guinée, tire encore près de la moitié de ses recettes publiques de l’activité pétrolière. « Il serait imprudent de penser que cette manne est éternelle », confie un cadre du ministère des Finances. Entre volatilité des cours mondiaux, impératifs climatiques et appétit d’une jeunesse avide de nouveaux débouchés, la diversification apparaît moins comme un slogan que comme une nécessité stratégique.
Un projet pilote adossé à des partenariats internationaux solides
La rencontre constitue l’aboutissement de la première phase du projet “Préparer l’après au Congo” (PapCo), élaboré par la RPDH avec l’appui technique d’Energy Transition Fund et le soutien financier de Rockefeller Philanthropy Advisors. L’architecture du projet se veut pragmatique : éviter une rupture brutale en misant sur le renforcement progressif de filières alternatives – agriculture de transformation, économie numérique, services à forte valeur ajoutée ou énergies renouvelables – capables de prendre le relais budgétaire tout en limitant l’empreinte carbone.
« Notre rôle est d’apporter des pistes concrètes, pas de dresser un catalogue idéologique », précise Élise Mabiala, coordinatrice de la RPDH. Le ton modéré et la méthodologie participative séduisent les observateurs, d’autant que les ministères sectoriels suivent les travaux avec bienveillance. Un conseiller économique de la présidence souligne même que « l’engagement de partenaires internationaux crédibles conforte la vision nationale de développement durable portée par le chef de l’État ».
Vers une feuille de route consensuelle et inclusive
Autour des tables, les échanges sont parfois vifs, toujours courtois. Les représentants de compagnies pétrolières rappellent la contribution fiscale de leur secteur et plaident pour une transition “ordonnée”. Les associations environnementales insistent, elles, sur l’urgence climatique et la nécessité de soutenir les communautés riveraines. Entre les deux, les experts financiers évoquent la création d’un fonds souverain vert, destiné à canaliser une partie des revenus actuels vers les infrastructures d’avenir.
Qu’elles portent sur l’hydrogène, l’agro-industrie ou le tourisme écologique, les propositions convergent vers un même impératif : baliser un chemin clair, étalé sur quinze à vingt ans, capable de maintenir l’équilibre budgétaire tout en libérant le potentiel des secteurs émergents. À l’issue des travaux, un document de synthèse sera transmis au gouvernement, destiné à nourrir le prochain Plan national de développement. Les participants insistent pour que cette feuille de route reste évolutive, afin d’intégrer les avancées technologiques et les retours d’expérience du terrain.
Les enjeux pour la jeunesse congolaise et la compétitivité nationale
Au-delà des chiffres et des graphiques projetés, l’enjeu est éminemment humain. Près de 60 % de la population congolaise a moins de 25 ans. Pour ces jeunes, l’après-pétrole n’est pas une abstraction : c’est la promesse, ou l’absence, d’opportunités professionnelles. « Une économie diversifiée crée de nouveaux métiers et favorise l’entrepreneuriat. C’est un facteur de stabilité sociale », observe l’économiste Armand Kignoumbi.
Les start-ups brazzavilloises tournées vers les services mobiles, l’agritech ou la finance dématérialisée guettent déjà les signaux d’encouragement. Les institutions publiques, de leur côté, multiplient les initiatives de formation et d’incubation. Le ministère de l’Enseignement technique prépare ainsi un cursus d’ingénierie solaire, tandis que l’université Denis-Sassou-Nguesso développe un master en économie circulaire. Une dynamique que la table ronde veut consolider en incitant les bailleurs à accompagner les jeunes pousses nationales.
La transition offre aussi une opportunité de redéfinir la compétitivité congolaise sur les chaînes de valeur régionales. La récente Zone de libre-échange continentale africaine accentue la pression : pour capter de nouveaux marchés, le Congo devra proposer des produits faiblement carbonés et conformes aux standards internationaux. L’après-pétrole s’inscrit donc à la croisée de l’ambition diplomatique et de la modernisation industrielle, un défi que les partenaires au développement considèrent avec intérêt.
Consolider l’élan et mesurer les progrès
Les conclusions provisoires de la table ronde soulignent la nécessité d’indicateurs de performance pour suivre l’évolution des filières alternatives. Il est notamment question de créer un observatoire indépendant, adossé à l’Institut national de la statistique, qui publierait chaque semestre une note de conjoncture verte. Une telle transparence rassurerait les investisseurs tout en rendant compte, de manière pédagogique, des avancées réelles à la jeunesse.
À l’issue des deux journées, le sentiment dominant reste l’optimisme prudent. Tous les acteurs s’accordent à reconnaître que le chemin est exigeant, mais qu’il concorde avec la stratégie nationale de développement durable réaffirmée par le président Denis Sassou Nguesso dans ses récents discours. Au sortir de la salle, un jeune entrepreneur résume l’ambiance : « Nous ne voulons pas rompre avec le pétrole du jour au lendemain, seulement préparer l’avenir. Et cet avenir commence aujourd’hui. »