Un coup de sifflet judiciaire sur la Fecofoot
Le matin du 4 octobre, les délégués étaient déjà installés dans la grande salle du stade Alphonse Massamba-Débat, badges accrochés, dossiers en main. Ils s’apprêtaient à lancer l’assemblée générale ordinaire de la Fédération congolaise de football, censée relancer les compétitions nationales.
À la surprise générale, un message circulant sur WhatsApp fit l’effet d’une faute sifflée à la dernière seconde : un juge venait d’ordonner la suspension de l’assemblée pour présumée mauvaise gestion. En moins d’une heure, les portes se refermaient, sans vote ni débat.
Ce que dit la décision de justice
Le document judiciaire, diffusé d’abord sur les réseaux sociaux avant d’atteindre le siège de la Fecofoot, évoque des « irrégularités comptables » et des « manquements aux règles de gouvernance ». Aucune copie officielle n’avait pourtant été notifiée à la fédération, selon son deuxième vice-président Carle Boniface Malalou.
« Nous l’avons découvert comme tout le monde, sur Facebook », soupire le dirigeant. Il affirme que l’instance « respecte scrupuleusement la loi » et se réserve le droit de contester la décision dès le 6 octobre devant les juridictions compétentes, préférant « temporiser plutôt que défier ».
Derrière l’aspect juridique se cache un enjeu sportif majeur : sans assemblée, impossible d’adopter le calendrier 2026, d’actualiser les textes ou de valider les budgets des championnats masculins, féminins et des jeunes. Les stades flambant neufs construits dans le pays restent silencieux.
Les clubs entre attentes et factures
Du côté des clubs, la frustration monte. Landry Louvouezo, président de la ligue départementale de Brazzaville, résume le malaise : « Notre jeunesse est bloquée ». Les dirigeants continuent pourtant de payer salaires, soins médicaux et transports, sans la moindre recette de billetterie depuis des mois.
À Pointe-Noire, Jean Louis Banthoud, premier vice-président de l’AS Cheminots, calcule déjà les pertes : primes gelées, sponsors hésitants, joueurs impatients. « On pensait sortir de l’impasse grâce à cette assemblée », dit-il, regrettant une saison blanche qui coûte « cher en motivation ».
Chez les champions féminins de l’Amical Club Colombe, Clint Bisseyou pointe le risque social : « Chaque match annulé, c’est une centaine de jeunes livrés à la rue ». Il rappelle que son collectif n’a reçu aucun soutien financier malgré sa participation à un tournoi continental organisé à Malabo.
L’ombre de la FIFA et le précédent 2025
Le rappel du passé récent hante tous les esprits. En 2025, un imbroglio semblable avait valu au Congo une suspension de la FIFA longue de trois mois, interdisant sélections et clubs de compétitions internationales. Les supporters redoutent un remake qui priverait encore les Diables Rouges de vitrines mondiales.
La FIFA, très sensible à l’ingérence politique, observe de près. Pour l’instant, aucune lettre de menace n’a été envoyée, mais plusieurs fédérations voisines, contactées sous couvert d’anonymat, conseillent à la Fecofoot de régler rapidement le litige pour éviter tout signal négatif à Zurich.
Au ministère des Sports, on se montre confiant. Un conseiller rappelle que « le gouvernement a toujours soutenu le développement du football, preuve en est la modernisation des stades dans chaque département ». Officiellement, l’exécutif se tient à distance du dossier, préférant « laisser la justice trancher sereinement ».
La jeunesse au centre du jeu
L’arrêt des compétitions touche directement une génération pourtant au cœur des priorités nationales. 2024 et 2025 ont été proclamées « années de la jeunesse », avec un programme d’insertion sociale et sportive. Pour Clint Bisseyou, « le ballon rond reste notre meilleur outil de lutte contre le phénomène kuluna ».
Sur les réseaux, des influenceurs sportifs relaient le mot-clé #Rejouons, appelant à des entraînements solidaires dans les quartiers. Des vidéos Tiktok montrent des bambins dribblant sur le bitume, espérant un jour fouler la pelouse officielle. Le report de l’assemblée devient ainsi viral, bien au-delà des tribunes habituelles.
Psychologues et éducateurs y voient une alerte : sans compétition encadrée, le risque de décrochage scolaire et de délinquance augmente. Ils rappellent que chaque saison de Ligue 1 mobilise près de 1 500 emplois directs et génère une économie souterraine d’emplois informels dont vivent vendeurs ambulants et taximen.
Les prochaines étapes légales
Dès lundi, les avocats de la Fecofoot déposeront un recours en annulation et une requête en référé-suspension. Si le juge les suit, l’assemblée pourrait se tenir avant novembre, calendrier impératif pour enregistrer les clubs auprès de la Confédération africaine de football pour la saison prochaine.
En parallèle, un audit interne, déjà engagé, devra clarifier la situation financière. « La transparence rassurera les bailleurs et l’opinion », estime un expert contacté. Plusieurs sponsors, dont des sociétés de télécoms, ont conditionné le renouvellement de leurs contrats à la confirmation de comptes certifiés.
Sous les gradins, l’espoir reste vivant
Malgré la suspension, les centres de formation continuent de tourner. À Makélékélé, les U-17 de la Jeunesse Sportive partagent les crampons usés pour maintenir le rythme. Leur entraîneur promet : « Le jour où la ligue reprendra, ils seront prêts ». Un sourire qui résume la passion congolaise.
Dans les coulisses, responsables et supporters espèrent qu’une issue rapide évitera un nouveau carton rouge international. Car comme le rappelle un vieux chant des gradins : « Sans ballon, le pays n’a pas la même couleur ». Reste à transformer ce report en simple mi-temps, pas en abandon de match.