Une détonation au cœur d’un examen national
Le 25 juin 2025, à l’heure brûlante de la reprise des épreuves du baccalauréat, les salles du lycée Barthélémy Boganda vibraient d’une concentration quasi liturgique. Soudain, à 13 h 07 précisément selon la direction des examens, un grondement sec a lacéré le silence. Le transformateur de la société nationale ENERCA, en maintenance depuis la veille, a cédé sous la pression d’un court-circuit. Le souffle, audible dans plusieurs quartiers du deuxième arrondissement de Bangui, a instantanément fait voler en éclats fenêtres et néons, projetant des étincelles jusque dans les couloirs.
La panique collective et sa mécanique mortelle
Au premier étage, où se trouvaient près de la moitié des 5 300 candidats inscrits dans le centre, le bruit a été assimilé à une attaque armée, angoisse tristement plausible dans un pays encore marqué par des années de conflit. Des rumeurs d’assaut ont jailli, alimentées par des cris et par l’éclat soudain du verre brisé. En quelques secondes, la peur s’est muée en marée humaine. Les issues exiguës, dépourvues de couloirs de délestage ou de rampes de secours, se sont transformées en goulots d’étranglement. Certains élèves ont sauté du balcon, d’autres ont été piétinés. Lorsque les portes métalliques ont cédé sous la pression des corps, la cour s’est emplie d’un flot mêlé de poussière, de sang et de copies d’examen.
Un révélateur des failles structurelles du système éducatif
Si l’explosion constitue l’élément déclencheur, la catastrophe trouve sa profondeur dans la vétusté des infrastructures. Le lycée Boganda, construit dans les années 1970 pour accueillir 1 800 élèves, en héberge aujourd’hui plus du double sans modernisation structurelle notable. « Aucune alarme incendie n’était opérationnelle et les plans d’évacuation n’étaient plus affichés depuis des mois », confie un professeur d’histoire, sous couvert d’anonymat. Le syndicat des enseignants rappelle qu’un rapport conjoint du ministère de l’Éducation et de la Protection civile, publié en 2023, recommandait déjà la mise aux normes de 117 établissements, Boganda figurant parmi les plus vulnérables.
Trois jours de deuil et joutes politiques
En déplacement à Bruxelles, le président Faustin-Archange Touadéra a décrété, depuis la chancellerie centrafricaine, trois jours de deuil national. Les drapeaux ont été mis en berne, les médias publics diffusant des chants funèbres entre deux communiqués officiels. Sur le parvis du lycée, des étudiants brandissaient pourtant des pancartes dénonçant ce qu’ils qualifient « d’indolence institutionnelle ». Le Bloc républicain pour la défense de la constitution a requis la démission du ministre de l’Éducation, pointant « l’irresponsabilité chronique » d’un gouvernement incapable d’assurer la sécurité d’un examen aussi symbolique. La majorité présidentielle se défend en rappelant que la maintenance du transformateur relevait d’ENERCA, entreprise dont la gouvernance hybride public-privé échappe en partie au contrôle ministériel.
Traumatismes, quête de sens et rites mémoriels
Au-delà du tumulte politique, les familles affrontent une douleur brute. Devant la porte d’entrée maculée de traces de pas, des bougies vacillent sous la fine pluie de saison. Les survivants, encore vêtus de chemises blanches tachées, témoignent d’un sentiment de culpabilité intense ; beaucoup redoutent de retourner en classe. Des psychologues bénévoles, épaulés par Médecins sans frontières, ont mis en place une cellule d’écoute à l’hôpital communautaire. La demande d’un mémorial dans la cour même du lycée s’amplifie, nourrie par l’idée que ces disparus ne doivent pas rejoindre l’interminable liste des tragédies vite oubliées par l’opinion.
Vers un chantier de sécurisation des établissements scolaires
Le gouvernement a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative et judiciaire. D’ores et déjà, un audit des installations électriques de trente-deux lycées de la capitale est annoncé pour juillet. Les architectes de l’Ordre national suggèrent la création de voies d’évacuation élargies, l’installation de sirènes couplées à des signaux lumineux et la formation obligatoire du personnel à la gestion de crise. « L’éducation n’est pas un champ de bataille, elle doit devenir un espace sécurisé », résume le sociologue congolais Armand Samba, rappelant que Brazzaville a connu en 2021 une bousculade similaire, certes moins meurtrière, pendant le concours d’entrée à l’université. À Bangui comme ailleurs en Afrique centrale, la tragédie du lycée Boganda agit désormais comme un catalyseur : la sécurité scolaire n’est plus un luxe, mais une exigence citoyenne.