Un limogeage aussi sec que stratégique
L’officialisation de la mise à l’écart de Paulin Akponna par le décret n° 2025-327, signé le 26 juin, s’est opérée avec la précision clinique d’une chirurgie politique. Le président Patrice Talon, réputé pour son goût du contrôle, a parlé minimalement de « réaménagement technique », laissant planer une ambiguïté calculée : acte d’assainissement ou sanction disciplinaire ? Dans un pays où l’exécutif revendique une gouvernance managériale, l’éviction soudaine d’un ministre à peine installé depuis six mois suggère une volonté d’éteindre un foyer d’incendie médiatique avant qu’il ne consume la crédibilité réformatrice du régime.
L’explosion verbale de Parakou et ses échos
Le 21 juin, devant des habitants de Parakou exaspérés par l’intermittence de l’eau et de l’électricité, Paulin Akponna a brisé l’omerta : « Des milliards ont été siphonnés », a-t-il tonné, évoquant des « délinquants de la République ». Rarement un membre du gouvernement béninois avait dénoncé, de vive voix et en public, un détournement intra-ministériel aussi massif. Si la sortie a été accueillie par des applaudissements dans la salle, elle a aussitôt circulé sur les réseaux sociaux, où les séquences vidéo ont franchi le million de vues en vingt-quatre heures, transformant une réunion technique en affaire d’État.
José Tonato, le cumul des charges comme réponse
Pour refermer la brèche, Patrice Talon a choisi un fidèle de la première heure, José Tonato, déjà détenteur du portefeuille stratégique du Cadre de vie, des Transports et du Développement durable. En lui ajoutant l’Énergie, l’Eau et les Mines, l’exécutif fait le pari qu’un super-ministre centralisera l’action publique et cimentera la discipline interne. Cette concentration de pouvoirs pourrait toutefois exacerber la question de la reddition de comptes, car le contrôle parlementaire se heurte souvent à la complexité administrative des ministères aux compétences démultipliées.
Parlement en alerte : la manœuvre des douze députés
Avant même que l’encre du décret ne sèche, douze élus de l’opposition, emmenés par le député Nourénou Atchadé, ont déposé une proposition de résolution réclamant une commission d’enquête sur la gestion financière de tous les projets liés à l’accès à l’eau potable et à l’électricité. S’ils obtiennent le feu vert du bureau de l’Assemblée, les investigations dureront trois mois, avec audition de fonctionnaires et remise d’un rapport public. La démarche pose le Parlement comme arbitre possible d’une querelle intra-exécutive, mais elle confronte aussi l’opposition à sa capacité d’obtenir, au-delà de l’effet médiatique, des résultats tangibles dans un hémicycle dominé par la majorité présidentielle.
Courage républicain ou entorse à la solidarité gouvernementale ?
L’opinion se déchire entre éloge du franc-parler et blâme de l’indiscipline. Les soutiens d’Akponna qualifient sa prise de parole de « coup de sifflet salutaire » dans un environnement où la dénonciation interne s’apparente souvent à un suicide politique. À l’inverse, les tenants d’une conception verticale de l’État jugent que le ministre a violé le principe de collégialité, exposant le gouvernement à la vindicte populaire. Cette tension entre devoir d’alerte et loyauté hiérarchique illustre la difficulté de concilier culture bureaucratique et exigences contemporaines de transparence.
Une faille susceptible de remodeler le paysage politique
Le climat pré-électoral confère à cet épisode une portée dépassant le simple remaniement. À un an de la présidentielle de 2026, Patrice Talon ambitionne de faire valoir un bilan de modernisateur. Or l’ombre d’un détournement à « dizaines de milliards » menace de fragiliser cette narration. Pour l’opposition, présenter Talon comme incapable d’endiguer la corruption serait un angle d’attaque de premier plan. Du côté de la majorité, la priorité devient la maîtrise du récit : démontrer que la sanction rapide vaut preuve de probité, tout en empêchant que l’enquête parlementaire ne devienne un tribunal politique.
Vers un test de vérité sur la gouvernance Talon
L’enjeu dépasse la destinée personnelle de Paulin Akponna. S’il est établi que des fonds ont été détournés, la promesse récurrente de gestion rigoureuse portée par Patrice Talon depuis 2016 sera sévèrement jugée. À l’inverse, si l’enquête parlementaire avortait ou restait muette, le soupçon de camouflage pourrait saper la confiance d’investisseurs et de bailleurs internationaux qui, jusqu’ici, saluaient la stabilité macroéconomique béninoise. Dans cet entre-deux, la jeunesse d’Afrique centrale, observatrice et connectée, mesure combien la bataille pour la transparence dans un pays voisin résonne avec ses propres attentes de reddition de comptes et de gouvernance inclusive.