La Bouenza entre dans le concert industriel des énergies vertes
À Loudima, chef-lieu rural du département de la Bouenza, la rumeur des machines couvre désormais le chant des oiseaux. Sous un soleil déjà haut, le président Denis Sassou Nguesso a coupé le ruban tricolore de l’Agri-hub Arturo Bellezza, première unité congolaise de production d’huile végétale à vocation énergétique. Le site, érigé sur trente hectares, vise une capacité annuelle de trente mille tonnes à partir de graines de tournesol et de soja cultivées dans un rayon de cent kilomètres. En quelques minutes, la localité, jadis simple étape ferroviaire, s’est muée en nœud stratégique de la transition énergétique continentale.
Un partenariat économique mûri depuis 1968
Arrivée au Congo à la fin des années soixante pour le pétrole offshore, la société italienne Eni explore depuis une décennie les pistes d’un portefeuille plus diversifié. « Cette réalisation s’inscrit dans notre engagement pour une transition énergétique responsable », a rappelé Guido Brusco, directeur général des ressources globales du groupe, évoquant « une transition juste » qui associe pays producteur et pays transformateur. La formule consacre un équilibre : l’amont, agricole et logistique, se développe sur le sol congolais, tandis que l’aval, industriel et chimique, reste pour l’instant basé dans les raffineries italiennes d’Eni.
Des champs locaux aux pompes européennes : la nouvelle route de l’huile
Concrètement, les graines récoltées par près de trois mille exploitants familiaux seront pressées puis expédiées par conteneurs jusqu’au port de Pointe-Noire avant de gagner l’Italie. Transformée en biocarburant HVO, l’huile alimentera avions et poids lourds européens soumis à des quotas croissants d’incorporation d’origine renouvelable. Le dispositif répond à la stratégie nationale congolaise visant à tripler les exportations hors pétrole d’ici 2030 et à engager la filière agricole vers des débouchés à haute valeur ajoutée. Les ministres de l’Industrie et de l’Agriculture, respectivement Antoine Nicéphore Thomas Fylla de Saint-Eudes et Paul Valentin Ngobo, y voient « une assurance de production et de revenus pérennes pour les planteurs ».
Emploi des jeunes : promesse chiffrée et attentes sociales
Dans les rues de Loudima, la fierté se mêle à l’impatience. « C’est une bouffée d’oxygène pour nos frères et sœurs », confie Marc-Arthur, vingt-quatre ans, manœuvre sur le chantier depuis dix mois. Si Eni ne dévoile pas encore la courbe exacte des embauches, les autorités départementales parlent de quatre cents postes directs et de plus d’un millier d’emplois induits dans le transport, la maintenance et l’encadrement agricole. Les jeunes, souvent tentés par l’exode vers Brazzaville ou Pointe-Noire, voient dans cette usine une première alternative locale à la débrouille informelle. Les animateurs des coopératives rappellent néanmoins la nécessité d’un accompagnement en formation mécanique et agronomique pour transformer cet espoir en revenu stable.
Un maillon de la politique climatique congolaise
Le Congo-Brazzaville s’est engagé, lors de la COP26, à réduire de 32 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035. L’exportation d’huiles destinées au biocarburant ne comptera pas dans l’inventaire national des émissions, mais le gouvernement mise sur l’effet d’entraînement pour stimuler l’agro-industrie domestique. Dans une allocution sobre, Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, a souligné que « la valeur carbone des puits forestiers restera intacte tant que les terres cultivées demeureront dans des zones déjà anthropisées ». Les ONG environnementales locales, plutôt favorables au projet, surveillent toutefois l’évolution de l’occupation des sols et demandent des clauses protectrices pour les petits producteurs.
Vers une filière congolaise du biocarburant : défis et perspectives
Au-delà de l’effet d’annonce, plusieurs défis se profilent. Les agriculteurs doivent sécuriser un approvisionnement régulier en semences améliorées, condition sine qua non pour maintenir les volumes à trente mille tonnes. L’État, pour sa part, est attendu sur l’entretien des pistes rurales afin d’éviter que la logistique n’érode la marge des producteurs. Eni, enfin, étudie la faisabilité d’une phase deux consistant à intégrer sur place une unité de raffinage légère. Une telle évolution réduirait les coûts de transport et accroîtrait la valeur locale, tout en positionnant le Congo comme pionnier d’un biocarburant « made in Africa ».
En clôturant la cérémonie, le chef de l’État a salué « une douce révolution agricole et énergétique » avant de rappeler que « la jeunesse congolaise, lorsqu’elle est formée et encadrée, constitue le meilleur gage de notre prospérité ». Loudima, soudain connectée aux grands courants du commerce vert, devra désormais traduire ces mots en emplois et en hectares cultivés. La presse internationale y verra peut-être un signe des temps : l’avenir des énergies propres pourrait bien germer dans les plaines du sud-Congo.