Une célébration académique du Juillet patriotique à Brazzaville
Sous les grandes colonnes de l’École nationale d’administration et de la magistrature, la brise tiède de juillet semblait transporter un parfum inaccoutumé aux couloirs universitaires : celui de la mémoire bolivarienne. Lancement officiel du “Juillet patriotique” oblige, l’ambassade de la République bolivarienne du Venezuela a inauguré la tribune « Hugo Chávez » par une masterclass dense et méticuleusement préparée. Dans l’amphithéâtre principal, étudiants en relations internationales, enseignants-chercheurs et cadres administratifs se sont mêlés à une délégation diplomatique venue rappeler le rôle cardinal de la pensée vénézuélienne dans l’architecture du multilatéralisme contemporain.
Le décor, certes solennel, n’en demeurait pas moins propice à l’échange : écrans projetant des vignettes historiques, drapeaux entremêlés du Venezuela et du Congo, et, en première ligne, l’ambassadrice Laura Evangelia Suárez. D’un ton posé, elle a immédiatement donné le cap : « La diplomatie est un art temporel ; encore faut-il en connaître les époques pour en saisir l’esprit. »
De Simón Bolívar à Nicolás Maduro : trois actes d’une même partition
Déclinant la diplomatie bolivarienne « en trois temps », la représentante vénézuélienne a rappelé que toute construction politique repose d’abord sur une mythologie fondatrice. Premier acte : l’ère de Simón Bolívar, figure continentale dont l’ambition dépassait les frontières de l’auditoire autant que celles de sa Colombie de naissance. Second acte : l’arrivée au pouvoir, en 1999, du commandant Hugo Chávez, crédité d’avoir réactualisé le projet bolivarien pour l’ancrer dans une diplomatie « polycentrique et pluripolaire ». Troisième acte enfin : la présidence de Nicolás Maduro, présentée comme la continuité d’un front humaniste face aux défis énergétiques, sanitaires et sécuritaires du moment.
Ce découpage chronologique, loin de l’exposé linéaire, a permis de souligner l’élasticité d’une doctrine qui se veut à la fois mémorielle et stratégique. En séance de questions, un étudiant s’est étonné de la longévité du récit bolivarien dans un monde réputé « post-idéologique ». L’ambassadrice lui a répondu en citant Bolívar lui-même : « Un peuple qui ignore son passé est condamné à le répéter ». Applaudissements nourris dans l’amphithéâtre.
L’humanisme diplomatique mis en avant par l’ambassadrice Suárez
Au-delà des dates structurant la mémoire nationale, la cheffe de mission a insisté sur la dimension sociale d’une diplomatie qualifiée d’« humaniste ». Pour elle, l’engagement du Venezuela au Conseil ministériel de l’OPEP, à la vice-présidence de l’Assemblée générale des Nations unies ou encore au sein de l’Organisation internationale de médiation démontre qu’un État producteur de pétrole peut, paradoxalement, porter un discours de justice environnementale et de solidarité Sud-Sud.
Sur ce point, plusieurs enseignants ont reconnu que la posture vénézuélienne résonnait avec les positions défendues par Brazzaville dans les enceintes multilatérales, notamment sur la question de la préservation des forêts du Bassin du Congo. La diplomatie se construit aussi dans ces correspondances discrètes, « parfois plus efficaces que cent déclarations officielles », a souri un chercheur congolais à la sortie.
Femmes aux commandes : l’argument d’une parité incarnée
Moment fort de la matinée : la mention de la « Journée internationale de la femme en diplomatie », célébrée le 24 juin. Bien loin d’un simple rappel protocolaire, l’ambassadrice Suárez a saisi cette référence onusienne pour mettre en lumière la montée en puissance des femmes au sein du corps diplomatique vénézuélien. La figure de Luisa Cáceres de Arismendi, héroïne de l’indépendance, a ainsi été convoquée pour illustrer l’idée que la parité n’est pas un concept importé mais une continuité historique.
Les étudiantes congolaises, majoritaires dans l’auditoire, se sont approprié cet argument avec un enthousiasme palpable. D’aucunes voyaient déjà, dans le parcours de la diplomate, un modèle de carrière conciliant excellence académique et engagement sociétal. « Vous prouvez que l’autorité peut rimer avec empathie », a déclaré une jeune diplômée, provoquant un sourire complice sur le visage de la conférencière.
Synergies afro-latino-américaines et opportunités pour la jeunesse congolaise
À plusieurs reprises, la conversation a glissé vers les convergences énergétiques et culturelles entre Caracas et Brazzaville. Rappelant la commission mixte tenue en août 2023, l’ambassadrice a laissé entrevoir des pistes de coopération en matière d’hydrocarbures, d’agro-transformation ou encore d’échanges universitaires. Sur ce dernier point, les responsables de l’ENAM ont proposé la création d’un module optionnel consacré aux politiques publiques latino-américaines, proposition saluée par la délégation.
Si l’annonce n’a pas valeur de convention, elle traduit néanmoins la volonté partagée d’ancrer la relation bilatérale dans la formation d’une jeunesse déjà familière des enjeux globaux. « La diplomatie d’aujourd’hui se nourrit de la curiosité et des compétences des moins de trente ans », a noté le secrétaire général de l’université, Ruffin Willy Mantsié, rappelant que plus de soixante pour cent des Congolais appartiennent à cette tranche d’âge.
Regards croisés d’étudiants congolais sur le magistère bolivarien
La séance s’est close sur la lecture, par une étudiante de deuxième année, de la lettre ouverte adressée par le président Nicolás Maduro aux peuples du monde. Texte à portée géopolitique, l’appel à la paix lancé depuis Caracas a servi de support à un débat improvisé sur la désescalade des tensions au Proche-Orient et en Europe orientale. Au fil des interventions, les jeunes congolais n’ont pas dissimulé leur désir de s’approprier la grammaire diplomatique internationale, conscients que les crises d’ailleurs résonnent toujours quelque part en Afrique.
Alors que l’amphithéâtre se vidait, le directeur adjoint de l’ENAM, Jean Michel Koutima Banzouzi, a confié espérer l’institutionnalisation annuelle de cette masterclass. Selon lui, recevoir une cheffe de mission représente « un laboratoire grandeur nature » pour celles et ceux qui se préparent à représenter le Congo sur la scène mondiale. La veille, un étudiant avait résumé l’état d’esprit de la promotion : « Comprendre le monde, c’est déjà commencer à le transformer ». À en juger par les discussions animées dans les couloirs, la leçon bolivarienne semble avoir trouvé un écho durable.