Un diagnostic alarmant dans les centres de Makélékélé
Le premier arrondissement de Brazzaville vit une situation paradoxale : alors que les dispositifs de prise en charge nutritionnelle se consolident, les indicateurs demeurent désespérément élevés. Au cours du seul mois de janvier 2025, deux cent quarante enfants ont été dépistés comme souffrant de malnutrition aiguë, chiffre révélateur d’un contexte social sous tension. Les équipes médicales, appuyées par le Programme alimentaire mondial, ont pourtant enregistré cent onze guérisons complètes en l’espace de quatre semaines, démontrant l’efficacité des protocoles quand ceux-ci sont scrupuleusement suivis.
Le docteur Lypsia Bassissila, médecin-chef du district sanitaire, constate néanmoins une stagnation dangereuse du taux de rémission globale. « Nous faisons face à des non-répondants au traitement qui devraient, en théorie, être stabilisés en trois mois ; certains dépassent largement ce délai, faute d’un suivi domestique rigoureux », confie-t-elle. L’infrastructure médicale ne manque pas de compétence, mais le détournement récurrent des produits thérapeutiques torpille les efforts des soignants.
Des détournements qui sapent la guérison
Les visites inopinées menées par le personnel de santé ont mis au jour des pratiques pour le moins inquiétantes. L’huile enrichie, destinée à densifier la bouillie thérapeutique, est fréquemment réaffectée à la friture du poisson familial. Les sachets de pâtes hypercaloriques, pourtant strictement réservés à l’enfant malade, se retrouvent découpés en portions pour l’ensemble du ménage, voire vendus à la sauvette dans les marchés périphériques. « Dans certains foyers, l’huile censée enrichir la bouillie sert à frire du poisson », observe le Dr Bassissila, qui déplore une « déperdition dramatique de nutriments ».
Ces détournements entraînent, selon elle, une double peine : la santé de l’enfant ne s’améliore pas et la communauté risque de perdre la confiance des bailleurs. Le Programme alimentaire mondial a déjà suspendu temporairement la dotation de produits dans plusieurs quartiers considérés comme foyers de revente. Une telle mesure, si elle se généralisait, priverait des centaines de familles vulnérables d’un soutien vital.
L’engagement communautaire, clef de voûte de la prévention
Conscientes que la simple distribution de rations ne suffit plus, les autorités sanitaires misent désormais sur la pédagogie de proximité. À Makélékélé, une quarantaine de relais communautaires sillonnent ruelles et culs-de-sac pour identifier les enfants amaigris, expliquer les modes de préparation des bouillies et rappeler l’interdit de la revente. « Le porte-à-porte crée un climat de confiance ; les mères comprennent mieux la finalité du programme lorsque l’on prend le temps de dialoguer dans la cour familiale », souligne une animatrice, ancienne bénéficiaire convertie en médiatrice.
Le défi majeur reste néanmoins l’accessibilité de certains secteurs enclavés, à l’image de Menga ou de Kinsundi, où l’état des pistes décourage les suivis réguliers. Pour contourner cet obstacle, les centres de santé expérimentent des tournées motorisées hebdomadaires et des comités de vigilance formés parmi les habitants eux-mêmes. Cette stratégie participative, bien que coûteuse, commence à porter ses fruits : les signalements précoces d’enfants à risque ont augmenté de trente pour cent depuis le début de l’année.
La menace des sanctions collectives
Toute politique publique doit se doter de garde-fous. Le district sanitaire brandit désormais la menace d’une suspension immédiate de l’approvisionnement dès lors qu’un centre est pris en flagrant délit de détournement. « Le centre sera sanctionné, et malheureusement la population en paiera le prix », avertit le Dr Bassissila. Cette approche, jugée nécessaire pour préserver la crédibilité du dispositif, soulève toutefois la question de l’équité. Punir l’ensemble d’un quartier pour les agissements de quelques individus risque d’exacerber la précarité et d’alimenter un ressentiment à l’égard des institutions.
Pour éviter cet écueil, les autorités sanitaires entendent associer davantage les chefs de bloc, organisations de jeunesse et structures confessionnelles à la surveillance de la chaîne logistique. L’idée est de substituer à la répression aveugle une responsabilité collective, où chaque leader communautaire est comptable de la bonne utilisation des denrées thérapeutiques.
Objectif Faim Zéro : entre volontarisme et réalités de terrain
Le Congo-Brazzaville a souscrit à l’objectif 2 des Nations Unies, celui de parvenir à la Faim Zéro d’ici à 2030. Sur le papier, l’engagement est ferme : le PAM intervient dans cent quatre-vingt-trois centres de santé répartis dans six départements, fournissant compléments alimentaires, formation et suivi. Sur le terrain, la persistance des détournements met en lumière la dimension culturelle et économique du défi. L’huile vitaminée, perçue comme un produit de valeur, devient monnaie d’échange dans les marchés de quartier, tandis que la pâte protéinée se substitue à la collation quotidienne des adultes en emploi précaire.
Atteindre la Faim Zéro exigera donc plus qu’un acheminement régulier de vivres. Il faudra consolider les filets de protection sociale, promouvoir des activités génératrices de revenus pour réduire la tentation du marché noir, et renforcer la responsabilité citoyenne. Sans cette approche intégrée, le cercle vicieux de la malnutrition continuera de se nourrir de ces petits détournements qui, cumulés, effacent les statistiques de guérison.