Une capitale qui redessine ses contours
À l’entrée sud de Brazzaville, les premiers engins de la direction générale de l’urbanisme étirent les avenues, témoignage visible d’une ambition gouvernementale : rendre la ville plus fluide, plus sûre et plus accueillante pour ses 2 millions d’habitants. Annoncée lors du dernier conseil municipal, l’opération de déguerpissement entend libérer trottoirs, embranchements et abords de marchés où se concentrent encore kiosques informels et étals improvisés. L’initiative s’inscrit dans la stratégie nationale d’aménagement du territoire et répond au Plan national de développement 2022-2026, lequel mise sur les infrastructures routières pour soutenir la croissance et l’emploi.
Au-delà de la dimension esthétique, les autorités évoquent une exigence de sécurité publique. « Le dégagement des axes majeurs réduit les risques d’incendie et facilite l’accès des services de secours », rappelle le directeur de cabinet du maire de Brazzaville, joint par nos soins. Pour de nombreux jeunes automobilistes, cette promesse de fluidité résonne comme un soulagement après des années de ralentissements chroniques.
De la pédagogie avant la pelleteuse
Contrairement aux campagnes expéditives observées dans certaines métropoles africaines, la municipalité a choisi la méthode douce. Depuis janvier, des équipes mixtes — policiers municipaux, agents du cadastre et bénévoles d’associations de quartier — sillonnent les arrondissements pour distribuer flyers, saisir mégaphones et expliquer les étapes à venir. Radios communautaires et réseaux sociaux relaient les messages de prévention, une première dans la communication civique locale.
Le chef de projet, Armand Ngamou, détaille la démarche : « Nous opérons quartier par quartier. Chaque occupant reçoit une notification écrite, suivie d’une séance d’information collective. Cette transparence réduit les tensions et favorise l’adhésion. » Plusieurs collectifs de jeunes, tels que le Mouvement Nouveau Souffle, confirment avoir été consultés en amont, signe d’une gouvernance plus participative.
Entre résilience et opportunités pour la jeunesse
Pour les 18-35 ans qui constituent le cœur battant du secteur informel, la perspective de céder leur emplacement suscite à la fois crainte et espoir. Dans le marché Total au cœur de Poto-Poto, Mireille, 26 ans, vendeuse de téléphones reconditionnés, confie avoir été orientée vers le nouveau centre commercial Kintélé Horizon. « On nous offre trois mois de loyers modérés et un accompagnement digital pour fidéliser la clientèle », se réjouit-elle, tout en reconnaissant la difficulté de déplacer sa base d’acheteurs vers la périphérie.
Plusieurs incubateurs comme WenzeTech proposent désormais des formations accélérées à la vente en ligne, profitant du basculement forcé pour initier une économie plus connectée. Cette transition, soutenue par le ministère des PME, pourrait créer un effet d’entraînement positif sur l’entrepreneuriat jeune, tant que l’accès au microcrédit suit le rythme.
Derrière la poussière, des enjeux économiques majeurs
Les études du Centre congolais de prospective économique estiment que l’occupation informelle du domaine public coûte chaque année près de 7 milliards de francs CFA en perte de recettes fiscales et en entretien de voirie. En réorganisant les espaces marchands, la mairie espère élargir l’assiette fiscale tout en offrant un cadre plus lisible aux investisseurs. Les opérateurs télécoms, déjà engagés dans l’extension de la fibre, saluent la libération des trottoirs qui doit faciliter la pose de réseaux souterrains.
Cette nouvelle attractivité pourrait aussi dynamiser le tourisme urbain. Le front du fleuve, débarrassé de ses constructions précaires, accueille désormais des food-trucks homologués qui, le week-end, attirent une clientèle friande de street-food revisitée. Autant de signaux qui esquissent un cercle vertueux entre ordre public et innovation commerciale.
Arguments sanitaires et environnementaux à l’appui
Au-delà de l’économie, les services de santé publique relient le déguerpissement à la réduction des maladies hydriques et des décharges sauvages. Les eaux pluviales, désormais canalisées, limitent les flaques permanentes où prolifèrent moustiques et bactéries. Selon l’Institut national de la statistique sanitaire, les cas de paludisme recensés dans le troisième arrondissement ont chuté de 12 % depuis la création de couloirs de drainage en 2023.
L’argument environnemental s’ajoute : en libérant les couloirs d’aération naturelle, la ville ambitionne de réduire les îlots de chaleur qui, combinés aux pics de pollution, affectent particulièrement les conducteurs de mototaxi et les vendeuses ambulantes. Les arbres replantés le long des avenues Matsoua et Mâ Loango apportent déjà ombre et fraîcheur, qualités appréciées par les usagers.
Vers une gouvernance urbaine plus inclusive
Si certains commerçants contestataires redoutent encore la réinstallation, l’administration souligne que plus de 75 % des occupants concernés ont accepté les solutions de repli proposées. La société civile, à travers la plateforme Brazzaville Demain, milite pour la création d’un observatoire citoyen chargé de suivre les promesses de relogement et d’évaluer l’impact social sur la durée.
À chaque étape, les autorités rappellent la finalité collective du projet. Comme l’a formulé le préfet de la ville lors d’un point presse : « Moderniser sans reléguer, développer sans exclure ». Pour la jeunesse brazzavilloise, cette maxime sonne comme un engagement à conjuguer rationalité économique, équité sociale et fierté patrimoniale. L’opération de déguerpissement, si elle conserve le cap du dialogue, pourrait bien devenir un laboratoire d’urbanisme participatif pour toute la sous-région.
