Un hommage inscrit dans la mémoire nationale
Sous un soleil déjà haut, un bouquet blanc et vert a glissé dans le marbre du Mémorial du 19-Septembre, à Brazzaville. Autour, une foule recueillie de parents, d’étudiants et d’anciens collègues d’équipage a observé une minute de silence poignante.
La cérémonie marquait la 36e commémoration de l’attentat contre le DC-10 UTA 772, rappelant les 48 Congolais parmi les 170 victimes. Présidant l’hommage, la ministre des Transports Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas a souligné le devoir « d’entretenir la flamme de la mémoire ».
Retour sur la tragédie du vol UTA 772
Le 19 septembre 1989, le vol reliant Brazzaville à Paris via N’Djamena explosait au-dessus du désert du Ténéré, au Niger. L’enquête révéla plus tard la présence d’une bombe dans la soute avant. L’acte terroriste aura marqué l’histoire de l’aviation civile africaine.
Parti de Maya-Maya avec 18 nationalités à bord, l’appareil transportait des commerçants, des diplomates, des étudiants récemment diplômés et une délégation sportive. « Nous croyions voir le monde, nous avons rencontré la tragédie », se souvient Théophile Nkouka, alors contrôleur d’embarquement, la voix toujours tremblante.
Des familles toujours unies dans la douleur
Trente-six ans plus tard, la douleur subsiste. Sur le parvis, Serge Alain Mavoungou, orphelin de trois êtres chers, confie qu’il « ressent encore le vide à chaque réveil ». Les anonymes l’entourent d’accolades, symbole d’une solidarité que les années n’ont pas rongée.
Des psychologues mobilisés par le ministère assurent, depuis 2019, un suivi régulier aux familles. Selon la praticienne Mireille Malonga, ces groupes de parole mensuels ont « transformé la tristesse en énergie de vigilance » et inspiré plusieurs parents à devenir bénévoles pour la promotion de la sécurité aérienne.
L’engagement renouvelé pour la sécurité aérienne
Au pupitre, la ministre Ebouka-Babackas a rappelé que le Congo est passé, en une décennie, d’un niveau de conformité OACI de 32 % à 71 %. Elle y voit le fruit de « lourds investissements dans la formation des contrôleurs et la modernisation des radars ».
Une commission interministérielle suit également l’application stricte des normes de sûreté dans les aéroports de Brazzaville, Pointe-Noire et Ollombo. « Les inspections inopinées ont quadruplé », précise le directeur général de l’Aviation civile, Serge Florent Ifouanga, avant d’annoncer l’arrivée imminente d’un scanner 3D pour fret.
Avancées techniques et chantiers prioritaires
La flotte congolaise bénéficie d’un programme de maintenance centralisé à Pointe-Noire, ouvert en 2021. Doté d’un hangar pressurisé, il réduit de 30 % la durée d’immobilisation des appareils. Les compagnies voisines, du Cameroun au Gabon, y recourent désormais, créant un hub technique régional.
Pourtant, quelques défis persistent, notamment la vétusté d’une partie des infrastructures secondaires et le besoin d’équiper davantage les tours en énergie solaire. Le budget 2024 prévoit 4,5 milliards de francs CFA pour ces chantiers, dont une enveloppe dédiée à la formation des pompiers aéroportuaires.
Ouverture régionale et opportunités économiques
La République du Congo s’aligne aussi sur le Marché unique du transport aérien africain, initiative de l’Union africaine visant à libéraliser les cieux du continent. L’adhésion, effective depuis février, ouvre la voie à de nouvelles liaisons directes et à des tarifs plus compétitifs.
En marge de la commémoration, un forum jeunesse a réuni 200 étudiants en aéronautique, logistique et cybersécurité. Ils ont échangé avec des experts sur le contrôle drone, la gestion de crise et l’importance de signaler à bord. « La sécurité, c’est l’affaire de tous », a insisté l’ingénieure Clarisse Kimangou.
Mobilisation digitale de la génération connectée
Pour les influenceurs présents, le hashtag #SafeSky242 vise à viraliser les conseils de voyage responsable. Sur TikTok, des tutoriels expliquent déjà comment identifier les consignes lumineuses en cabine ou garder son passeport numérisé. En une heure, la campagne avait franchi 8 000 partages.
Le gouvernement espère capitaliser sur cette visibilité numérique pour instaurer, dès octobre, un module de prévention sur les plateformes de réservation en ligne. Chaque billet émis sur le territoire devra inclure une capsule vidéo de 30 secondes rappelant les règles de sûreté et les numéros d’alerte.
Sécurité rime avec écologie
Signe des temps, la dimension environnementale s’invite aussi dans la réflexion. Les nouveaux appareils commandés par Equaflight et Trans Air Congo sont équipés de moteurs Leap moins émetteurs de CO₂. Une étude conjointe avec l’Université Marien Ngouabi évalue déjà l’impact positif sur la qualité de l’air urbain.
À l’issue de la cérémonie, un lâcher de 170 ballons biodégradables a dessiné un couloir blanc au-dessus de la capitale. Dans la brise, les noms des disparus, lus l’un après l’autre, semblaient s’élever avec eux, rappelant que la sécurité du ciel commence au sol.
Mémoire active, vigilance collective
Pour la sociologue Jeannine Okemba, inviter la population à ces rituels collectifs « consolide le sentiment d’appartenance nationale et promeut une culture de prévention ». Elle encourage la multiplication d’initiatives mémorielles similaires dans les gares routières et fluviales, autres nœuds sensibles de mobilité.
Au-delà du recueillement, le message est clair : transformer la douleur en action. Alors que les vols reprennent leur ballet, les autorités rappellent le numéro vert 1212 mis en place pour signaler tout incident aérien. « La vigilance citoyenne complémente le radar », conclut la ministre avant de quitter les lieux.
