Brazzaville, carrefour phytosanitaire africain
Depuis lundi, les couloirs lumineux du grand hôtel de Kintélé vrombissent d’accents swahili, wolof et lingala. Des experts issus d’une vingtaine de pays y discutent, sous l’égide de la FAO et de la CIPV, de la santé des plantes africaines.
Brazzaville, souvent saluée pour sa diplomatie forestière, entend consolider cette image. Le conclave vise à passer en revue les projets de normes internationales avant leur adoption globale, étape cruciale pour protéger des filières agricoles déjà soumises aux aléas climatiques.
Autour des tables, responsables gouvernementaux, chercheurs et représentants du secteur privé croisent leurs analyses. Les discussions se prolongent tard, preuve que la lutte contre les organismes nuisibles ne relève plus seulement du laboratoire mais aussi de la négociation diplomatique et commerciale.
Des chiffres qui soulignent l’urgence écologique
Les chiffres rappelés par Pascal Robin Ongoka, directeur de cabinet au ministère de l’Agriculture, donnent le vertige : jusqu’à 40 % des cultures vivrières sont perdues chaque année en Afrique, soit près de 220 milliards de dollars partis en fumée.
La pression démographique accentue le défi. L’Afrique comptera plus de 2 milliards d’habitants en 2050, dont une immense majorité de jeunes. Garantir la disponibilité de denrées saines devient un impératif économique autant qu’une question de stabilité sociale.
Un rapport interne de la FAO signale que chaque dollar investi dans la surveillance phytosanitaire peut générer jusqu’à trente dollars de récoltes sauvées. Dans un contexte de hausse des prix alimentaires, l’argument séduit aussi les bailleurs internationaux.
Normes internationales, commerce et sécurité alimentaire
Les normes en discussion fixent les protocoles de quarantaine, la traçabilité des semences et les exigences de certification avant exportation. Harmoniser ces règles permet aux pays africains d’accéder à de nouveaux marchés tout en évitant les refus coûteux aux frontières.
L’ambassadeur congolais auprès des organisations onusiennes à Rome, Léon Raphaël Mokoko, présente le processus comme « un investissement dans la crédibilité du label made in Africa ». Selon lui, la signature de normes communes réduira les frictions douanières dans la zone de libre-échange continentale.
Derrière les débats techniques se joue aussi la diversification économique prônée par de nombreux gouvernements africains. Protéger les cultures cacao, manioc ou palmier à huile, c’est sécuriser des milliers d’emplois et renforcer les recettes hors hydrocarbures.
Innovation locale et solutions technologiques
Au-delà des textes, des solutions numériques émergent. Une start-up congolaise, AgroScan, a présenté une application mobile capable de détecter en temps réel certaines maladies foliaires grâce à l’intelligence artificielle embarquée dans la caméra du téléphone.
Testée auprès de trente coopératives dans les Plateaux, l’application aurait réduit de 15 % les pertes de plantain en une saison, selon ses développeurs. Les partenaires internationaux envisagent un financement pilote pour étendre la solution au bassin du Congo.
Les experts notent cependant que la connectivité reste un frein. Le docteur Dishon Muli, entomologiste kényan, rappelle que « sans énergie stable et formation, l’innovation digitale n’atteindra pas le petit producteur ». D’où l’importance d’investir aussi dans les infrastructures rurales.
Témoignages et attentes des jeunes professionnels
Parmi les participants, nombreux sont ceux qui appartiennent à la génération des moins de trente-cinq ans. Le Béninois Yao Tchibo a quitté Cotonou par bus ; il voit dans le réseau qu’il tisse ici « un accélérateur de carrière et d’idées ».
La délégation congolaise, composée d’agronomes formés à l’Université Marien-Ngouabi, insiste sur la valorisation des connaissances locales. Elle rappelle que les savoirs traditionnels, comme l’usage de feuilles de neem, peuvent compléter les pesticides et réduire le coût pour les petits maraîchers.
Un représentant de la BAD, Christian Kalla, évoque la possibilité de micro-crédits dédiés aux indemnités d’assurance-récolte. Ce mécanisme limiterait l’endettement en cas d’invasion de chenilles légionnaires, particulièrement redoutées dans les provinces céréalières du Sahel.
Perspectives d’avenir pour l’agriculture congolaise
Le Congo-Brazzaville souhaite profiter de la dynamique pour consolider ses ambitions de hub agricole régional. Le ministère de l’Agriculture annonce déjà l’élaboration d’une feuille de route basée sur les conclusions du conclave, incluant une révision du dispositif d’inspection frontalière.
Les autorités entendent aussi renforcer les partenariats public-privé afin d’attirer des unités de production de bio-intrants sur le territoire national. Elles y voient une opportunité de création de valeur ajoutée et de nouveaux emplois pour la jeunesse urbaine.
Sur le plan académique, l’Université de Kintele prévoit un master commun avec l’Institut national d’horticulture du Maroc dès 2025. L’objectif est de former des professionnels capables d’anticiper les risques phytosanitaires et de guider les exploitations vers des certifications internationales.
Vers une diplomatie verte renforcée
Alors que les rideaux de l’atelier se refermeront jeudi, un sentiment de responsabilité partagée domine. « Nous n’avons plus le luxe d’agir en silos », admet la Camerounaise Evelyne Ndongo, spécialiste en biocontrôle, en rangeant ses notes avant la séance plénière.
Brazzaville, qui fut jadis capitale verte de l’Afrique centrale, renoue ainsi avec une tradition d’accueil des grands rendez-vous environnementaux. Le legs espéré de cette semaine de travail : une feuille de route continentale pour que chaque grain semé puisse arriver jusqu’à l’assiette.