Un tête-à-tête diplomatique centré sur le fleuve
La visite, le 6 août à Brazzaville, de la cheffe de la diplomatie centrafricaine Sylvie Baïpo-Temon, accompagnée du ministre des Transports Arnaud Djoubaye Abazene, souligne le rôle désormais stratégique du corridor fluvial reliant les capitales congolaise et centrafricaine. Porteuse d’un message du président Faustin-Archange Touadéra, la ministre a indiqué que « cette rencontre fixe la prochaine étape où nos deux chefs d’État échangeront à Bangui » (Sylvie Baïpo-Temon). À l’ordre du jour : l’optimisation d’un axe que Brazzaville considère comme un prolongement naturel de son ouverture maritime et que Bangui qualifie de « poumon logistique » de son économie.
Pourquoi le corridor fluvial reste vital
Le couloir Brazzaville-Bangui assure plus de 70 % de l’approvisionnement centrafricain en carburant, ciment et produits de première nécessité, selon les données croisées des ministères des Transports des deux pays. Pour la jeunesse congolaise, ce couloir représente un débouché commercial direct représentant près de 12 000 emplois formels et informels dans la manutention, la logistique et le négoce urbain. La baisse de fréquentation, imputée à la vétusté des quais et au dragage irrégulier, a fait chuter le volume de fret de 600 000 tonnes en 2015 à moins de 350 000 tonnes en 2022, ce qui a fragilisé l’écosystème des villages riverains dépendants de l’échange fluvial.
Moderniser quais et balisage : un impératif logistique
Les deux gouvernements reconnaissent la nécessité d’un programme conjoint de réhabilitation des infrastructures. À Brazzaville, la Société nationale des ports autonomes travaille déjà sur un plan de dragage continu et sur la digitalisation du suivi des barges. Bangui, de son côté, a engagé une étude de faisabilité pour l’élargissement du quai de Kolongo. Les partenaires techniques, Banque africaine de développement et Banque mondiale en tête, ont été sollicités pour cofinancer un package estimé à 180 millions de dollars. L’objectif consiste à réduire les temps d’escale de 48 heures à 18 heures et à porter la capacité de chargement annuelle à un million de tonnes.
Intégration CEMAC : Brazzaville bientôt au gouvernail
La prochaine session ordinaire des chefs d’État de la CEMAC, programmée pour le 9 août à Bangui, devrait consacrer le passage de témoin entre le président Touadéra et le président Denis Sassou Nguesso à la présidence tournante de l’institution. Dans ce contexte, la relance du transport fluvial apparaît comme un marqueur concret de la volonté congolaise de promouvoir la libre circulation des biens et des personnes. Des experts de la Commission CEMAC estiment que chaque point de pourcentage gagné sur le coût logistique régional se traduit par 0,3 % de croissance supplémentaire, un argument de poids pour les décideurs.
Une opportunité pour les jeunes entrepreneurs
Au-delà des grands chantiers étatiques, la modernisation du corridor ouvre une fenêtre de croissance aux start-up congolaises spécialisées dans la traçabilité, le paiement mobile et les services de fret collaboratif. Déjà, la plateforme brazzavilloise FleuveTech expérimente un système de capteurs connectés sur les remorqueurs pour optimiser la consommation de carburant. « Si le trafic est relancé, nous pourrons tripler nos abonnements professionnels en moins d’un an », anticipe son co-fondateur, Fabrice Nganga. Le pari commun des deux capitales consiste donc à transformer cette artère historique en un laboratoire d’innovation logistique, tout en réaffirmant la vocation fluviale qui a façonné l’identité économique du Bassin du Congo.