Brazzaville, capitale historique en quête d’une nouvelle narration
Dans le pavillon feutré de l’Espace royal, à Montreuil, le bruit des couverts s’est mêlé à celui d’une conversation à haute teneur symbolique : repositionner Brazzaville dans le roman continental. Soixante-quinze ans après la conférence de Brazzaville de 1944, la ville qui fut capitale de la France libre se voit qualifiée, non sans provocation, de « grande capitale oubliée ». Le terme claque comme un rappel à l’ordre : la mémoire n’est pas seulement un devoir patrimonial, elle devient un argument géopolitique et marketing pour une génération congolaise désireuse de réécrire son futur immédiat.
Diasporas congolaises et soft power culturel au cœur du projet
Le président de la Maison de la mémoire africaine, Marcellin Mounzeo-Ngoyo, l’a dit sans détour : « Nous refusons que Brazzaville demeure un simple chapitre d’archives. » Autour de lui, artistes comme Jhey Marini ou Kila Mbongo ont rappelé, entre deux interludes musicaux, que l’identité congolaise s’exporte autant qu’elle se partage. La présence du baryton du Vatican, Raoul Gamez, a fait écho à cette diplomatie par la voix, implicite mais puissante, qui consiste à fédérer les imaginaires avant les capitaux. Chez les jeunes des diasporas, le projet résonne comme un acte d’affirmation : affirmer le droit de raconter soi-même son histoire afin de mieux la transformer en ressources, qu’il s’agisse de tourisme de mémoire ou d’industries créatives.
Opportunités économiques et coopération France-Congo redessinées
Si la poésie des discours galvanise, l’économie ramène à la table des réalités. Le premier conseiller de l’ambassade du Congo en France, Armand Rémy Balloud-Tawabé, plaide pour des ponts « culturo-productifs » capables de convertir l’émotion patrimoniale en flux d’affaires pérennes. Jean-Philippe Carpentier, à la tête du Corps consulaire de Normandie, voit dans Brazzaville un laboratoire où tester un nouveau contrat de développement franco-congolais : énergies renouvelables, numérique urbain et formation professionnelle y tiendraient lieu de piliers. Des entrepreneurs comme Brian Huffret Bazebifoua et Patrick Banakissa, aguerris aux montages financiers, ont souligné que le marché énergétique congolais, encore sous-exploité, pourrait attirer les fonds souverains européens en quête de diversification.
Mémoire collective, marketing territorial et enjeux générationnels
La Maison de la mémoire africaine mise sur un triptyque : réhabilitation des sites emblématiques, médiatisation internationale et participation citoyenne. Cette stratégie rompt avec la museification passive ; elle propose une mémoire vivante qui irrigue les start-ups culturelles, l’industrie musicale et le tourisme expérientiel. Pour la tranche des 20-35 ans, majoritaire dans la démographie congolaise, la valorisation patrimoniale devient un facteur d’emploi et de mobilité. L’ancien ministre Alain Akouala-Atipault, présent lors du dîner, insiste sur le fait que « l’identité d’une ville se mesure désormais à sa capacité d’innover sans renier ses racines ». La remarque ouvre un horizon où la mémoire ne statue pas le passé, elle finance le futur.
Vers une renaissance stratégique de la ville-mémoire
Au terme de la soirée, Marcellin Mounzeo-Ngoyo a fixé un cap : organiser d’ici l’an prochain un forum mixant ateliers scientifiques, rencontres d’affaires et parcours patrimoniaux in situ à Brazzaville. Le consul honoraire Emmanuel Brouiller a confirmé que des jumelages avec Rouen et Le Havre étaient en négociation, mêlant logistique portuaire et coopération universitaire. Dans les allées de l’Espace royal, l’enthousiasme était palpable mais tempéré par un réalisme partagé : l’attraction des capitaux passe aussi par la stabilité macroéconomique et la transparence administrative. Reste que ce dîner a fait naître un narratif où la capitale congolaise s’apprête à entrer, non plus par effraction, mais par la grande porte, dans les débats sur les villes africaines du XXIᵉ siècle.