Des rives du Congo aux quais de l’Elbe : une passerelle diplomatique culturelle
Qu’il s’agisse d’échanges universitaires, de coopération municipale ou d’initiatives climatiques, le jumelage entre Brazzaville et Dresde ne cesse d’élargir son champ d’action. En s’attaquant cette année à la création contemporaine, les deux capitales régionales confirment leur volonté de faire du dialogue culturel un socle de relations durables. La résidence « Entre le Congo et l’Elbe : un dialogue entre les fleuves », qui réunira du mois de septembre au mois de décembre le photographe congolais Therance Ralff Lhyliann et la plasticienne allemande Birgit Schuh, s’inscrit ainsi dans une diplomatie de proximité où l’esthétique devient vecteur de compréhension mutuelle.
Portée par la mairie de Dresde, le Goethe-Institut, Zentralwerk Dresden e.V. et les Ateliers Sahm, cette initiative épouse une idée simple : rapprocher deux jeunesses urbaines façonnées par leurs fleuves respectifs. « Le Congo irrigue l’imaginaire brazzavillois comme l’Elbe structure celui de Dresde », observe le commissaire du projet, convaincu que les eaux partagées nourriront un vocabulaire visuel commun.
Ralff, l’itinéraire d’un photographe vers la création multimédia
Né en 1994 dans la capitale congolaise, Therance Ralff Lhyliann incarne cette génération qui a grandi avec le numérique et qui n’hésite plus à brouiller les frontières disciplinaires. Passé de la pause photographique à l’installation vidéo, le jeune créateur revendique une écriture polymorphe où l’image fixe dialogue avec la voix et la matière sonore. « Je ne veux plus choisir entre photographe et plasticien ; l’important est de raconter une ville en mouvement », confie-t-il, sourire discret, dans la cour ombragée des Ateliers Sahm.
Pour le jury germano-congolais qui l’a retenu, sa proposition s’est démarquée par son approche ethnographique : écouter les habitants de Dresde, enregistrer leurs souvenirs d’eau, puis recomposer ces témoignages sur des panneaux rétro-éclairés. Un procédé qui s’inscrit dans la continuité de ses séries brazzavilloises dédiées aux vendeuses de poissons ou aux pilotes de pirogues, mais qui ambitionne, cette fois, de confronter l’horizon fluvial à une mémoire européenne.
Birgit Schuh, paysage sonore d’une plasticienne saxonne
Face à lui, Birgit Schuh s’est construit un parcours où l’art environnemental fait office de boussole. Diplômée de la Hochschule für Bildende Künste de Dresde, l’artiste voit dans la résidence une occasion d’expérimenter les textures sonores du fleuve Congo, si éloignées des nappes tranquilles de l’Elbe saxonne. Elle séjournera à Brazzaville dès septembre, avant de retrouver Ralff en terre allemande pour la restitution finale.
« Je viens capter les battements d’une ville que je ne connais qu’au travers de cartes et de récits coloniaux », explique-t-elle, déterminée à confronter sa pratique à l’exubérance équatoriale. Le laboratoire commun entend ainsi dépasser le simple choc des contrastes pour inventer une écoute attentive aux gestes quotidiens : lessives sur les berges, appels de bateliers, clameurs des marchés riverains.
Une méthodologie de terrain centrée sur la parole fluviale
Pour saisir l’épaisseur symbolique de chaque fleuve, les deux résidents ont esquissé une méthode qui conjugue immersion et co-création. À Brazzaville, Birgit Schuh mènera des dérives urbaines avec les étudiants de l’Institut National des Arts. À Dresde, Ralff sollicitera des associations d’anciens bateliers de l’Elbe, interrogeant leurs archives photographiques familiales. Cette démarche participative, inspirée par les courants de la géographie culturelle, vise à déconstruire le récit unique au profit d’une polyphonie de regards.
Les entretiens seront restitués sous forme d’installations mêlant projections photo-vidéo et capsules audio diffusées dans des coquilles de calebasse, clin d’œil aux instruments traditionnels congolais. Le dispositif, en brouillant les repères spatiaux, ambitionne de faire ressentir au visiteur la porosité des frontières hydrologiques.
Mobilité artistique et soft power municipal dans la coopération Sud-Nord
Si l’on célèbre avant tout la dimension poétique de l’entreprise, il serait réducteur d’ignorer sa portée stratégique. En finançant billets, per diem et logistique d’atelier, les municipalités de Brazzaville et de Dresde investissent dans une forme de soft power local susceptible de renforcer leur attractivité auprès des jeunes créateurs internationaux. « Chaque résidence est une ambassade symbolique », rappelle un conseiller culturel de la mairie de Brazzaville.
De fait, la mobilité artistique consolide la professionnalisation des talents congolais. En leur offrant un accès direct aux réseaux européens de diffusion, le jumelage amplifie la visibilité d’une scène plastique brazzavilloise déjà remarquée à la Biennale de Dakar et à la Documenta de Kassel. Le succès de Ralff pourrait ainsi ouvrir la voie à de futures coopérations, incluant des workshops numériques ou des résidences croisées dans le domaine des arts urbains.
Vers une exposition conjointe, promesse d’un récit pluriel
Le point d’orgue de la résidence aura lieu en janvier prochain au centre culturel Zentralwerk, avant une possible itinérance à Brazzaville. On y découvrira des tirages argentiques baignés de lumières tamisées, des rails sonores guidant le visiteur comme un courant invisible, et des fragments de cartes lacérés, métaphore des frontières réinventées. Au-delà des œuvres, c’est la mise en commun de deux géographies intimes qui se jouera dans l’espace muséal.
D’ores et déjà, les étudiants congolais interrogés voient dans cette collaboration un miroir de leurs propres aspirations. « Voyager pour comprendre et revenir créer », résume l’un d’eux, persuadé que l’expérience de Ralff stimulera toute la communauté artistique locale. Une conviction que partage la direction des Ateliers Sahm : « La jeunesse congolaise a un potentiel considérable ; il suffit de lui donner des passerelles pour qu’elle franchisse les océans ». Entre le Congo et l’Elbe, le courant semble désormais bien établi.
