Le contexte réglementaire du transport urbain congolais
Depuis le décret présidentiel de 2019 instituant une carte nationale destinée à professionnaliser le transport routier, l’écosystème brazzavillois dispose d’un socle juridique censé fédérer tous les conducteurs. Le document, produit par les services du ministère en charge des Transports, vise à sécuriser les recettes fiscales, à garantir la traçabilité des véhicules et à protéger les passagers. Dans ce cadre, chaque transporteur acquitte déjà des frais officiels, considérés comme un passeport professionnel. La récente initiative municipale, présentée comme un « complément d’identification », redéfinit partiellement ce paysage et invite à interroger les chevauchements de compétences entre l’État et la collectivité locale.
Entre rationalisation fiscale et perception populaire
Fixé à 25 000 francs CFA, le coût de la nouvelle carte municipale constitue un investissement non négligeable pour les chauffeurs, dont les revenus journaliers fluctuent au rythme de la fréquentation urbaine. Dans les artères du Plateau, des voix évoquent une charge budgétaire supplémentaire, tandis que d’autres soulignent un effort de modernisation bienvenu. « Si l’argent sert à améliorer les abris‐bus et la sécurité, je suis preneur », confie Armand, trentenaire chauffeur de taxi‐bus. Les autorités locales, pour leur part, argumentent que la mesure permettra d’identifier précisément les exploitants et de prévenir l’informel, consolidant ainsi la base fiscale indispensable au financement d’équipements publics.
Potentialités économiques pour les jeunes professionnels
Au-delà du débat sur la pression fiscale, la carte municipale pourrait ouvrir de nouvelles perspectives entrepreneuriales pour la jeunesse congolaise. Les services municipaux évoquent déjà la création d’un registre numérique des transporteurs qui faciliterait l’accès aux microcrédits, indispensable pour renouveler des flottes vieillissantes. La Banque postale du Congo, approchée en mars dernier, se dit prête à « étudier des lignes de financement adossées à la fiabilité des données d’immatriculation ». Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 35 ans, la structuration d’une filière de transport formelle participe à l’inclusion financière et à la professionnalisation d’un secteur souvent perçu comme refuge informel.
Vers une harmonisation des cartes de transport
Les juristes interrogés rappellent que la Constitution consacre le principe de libre administration des collectivités locales, tout en subordonnant la fiscalité municipale au cadre législatif national. L’apparition de deux cartes distinctes nourrit donc la nécessité d’un dialogue institutionnel. Un groupe de travail associant la préfecture, la mairie et la Chambre nationale des métiers du transport aurait entamé des consultations techniques dès la semaine dernière. L’objectif affiché : fusionner, à terme, les bases de données pour délivrer un identifiant unique, sécuriser les recettes et réduire les démarches répétitives. Cette recherche d’harmonisation illustre la volonté de concilier efficacité administrative et clarté pour les usagers.
Regards d’experts sur la mobilité durable à Brazzaville
Les spécialistes de la mobilité durable insistent sur le fait que la multiplicité des titres administratifs ne doit pas occulter la priorité environnementale. « Un transporteur correctement enregistré est aussi un partenaire privilégié pour des programmes de réduction d’émissions ou d’introduction de carburants propres », souligne la géographe Évelyne Makosso lors d’une conférence de l’Université Marien‐Ngouabi. Selon elle, le futur schéma directeur de la ville prévoit l’intégration de bus au gaz naturel comprimé, projet qui nécessite un cadre d’identification clair des opérateurs. La carte municipale, si elle s’accompagne d’incitations vertes, pourrait devenir un levier efficace pour réorienter progressivement la flotte vers des technologies plus respectueuses du climat.
Quelle place pour l’innovation numérique dans la billetterie ?
Pour bon nombre de start‐up congolaises, la coexistence des cartes représente avant tout une opportunité d’innovation. La société Yekola Tech, incubée à Pointe‐Noire, développe un portefeuille électronique destiné aux transporteurs, capable de regrouper permis, assurances et, demain, la double carte. « Nous plaidons pour un QR code unique, lisible par la police municipale et les forces de l’ordre, afin de fluidifier les contrôles », détaille son fondateur Jonas Moungani. Une telle approche, en dématérialisant la preuve d’enregistrement, limiterait les risques de fraude et réduirait les files d’attente devant les guichets, scénario apprécié par une jeunesse férue de solutions mobiles.
Cap sur une gouvernance concertée de la mobilité
La mise en circulation de la carte municipale, loin d’être une simple modalité administrative, s’impose désormais comme un révélateur des défis de gouvernance urbaine. Brazzaville, confrontée à une croissance démographique soutenue, doit conjuguer exigences budgétaires, impératifs environnementaux et attentes sociales. Les signaux envoyés par la mairie témoignent d’une volonté de sécuriser ses recettes tout en modernisant le secteur. Pour nombre d’observateurs, l’équilibre se trouvera dans une transparence accrue sur l’utilisation des fonds et dans la continuité du dialogue avec les représentants des transporteurs. Les prochains mois diront si la double carte se mue en tremplin vers une mobilité plus ordonnée ou si elle restera un éphémère jeu de pistes tarifaire.