Un calendrier resserré et une volonté affichée
Fixée au 5 juillet par le ministre de l’Assainissement, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondélé, l’opération de déguerpissement s’annonce comme un jalon majeur du programme gouvernemental pour l’embellissement de Brazzaville. Deux jours seulement après l’annonce officielle, les agents municipaux et la force publique seront déployés pour libérer les espaces publics saturés par des installations commerciales improvisées. L’urgence du calendrier, soulignée lors d’une réunion avec les administrateurs-maires d’arrondissements, témoigne d’une volonté ferme de restaurer discipline et hygiène à l’orée des festivités du 15 août.
Les artères brabanent sous la pression de l’économie informelle
Au cœur de la capitale, la dynamique commerciale informelle a progressivement retransformé les trottoirs en échoppes de fortune. Fruits, vêtements, pièces détachées : au gré d’une économie de débrouille, les vendeurs ont reconquis l’espace libéré l’an dernier à la faveur du Sommet des trois bassins. « La densité de la reconquête commerciale dépasse nos projections », confie un cadre municipal, rappelant le lien étroit entre chômage des jeunes et essaimage d’étals clandestins. Concurrence spatiale, insécurité et insalubrité s’entremêlent alors, jusqu’à freiner la circulation et altérer l’image de la ville.
Assainir pour célébrer : le sens symbolique de l’échéance nationale
L’échéance n’est pas anodine : la fête de l’indépendance constitue un marqueur mémoriel et touristique. En présentant une cité ordonnée et propre, l’exécutif entend réaffirmer une vision d’un Congo moderne, hospitalier et respectueux de l’environnement. « La propreté urbaine n’est pas une option esthétique, c’est une composante de notre souveraineté », a rappelé le ministre devant les responsables des marchés. À ses yeux, la cohérence entre célébration patriotique et assainissement confère une légitimité supplémentaire à l’opération.
La pédagogie avant la contrainte : quarante-huit heures décisives
Bien que la mobilisation de la force publique soit prévue, la stratégie privilégiée demeure d’abord incitative. Deux jours de sensibilisation, du 2 au 4 juillet, doivent permettre aux commerçants de se relocaliser volontairement vers les marchés domaniaux réhabilités. Des brigades pédagogiques iront au contact direct des vendeurs pour expliquer les sites de repli, les procédures d’enregistrement et les avantages sanitaires. Le ministre l’a martelé : « Pas d’excuses après notre descente pédagogique ». Ce délai, court mais inédit dans son formalisme, vise à conjurer les critiques récurrentes d’éviction brutale.
Épaves et immondices : l’autre front de la salubrité
Au-delà des étals mobiles, l’assainissement ciblera les véhicules abandonnés, dépôts sauvages d’ordures et matériaux de démolition entassés sur les emprises publiques. L’enlèvement des carcasses métalliques, souvent repères de moustiques et d’insécurité, sera mené en coordination avec la police routière. Quant aux tas d’immondices, ils seront évacués vers les décharges contrôlées de Mbouono et de Lifoula. La mairie centrale parie sur une baisse mesurable de la pollution visuelle et olfactive, facteurs de stress pour la jeunesse urbaine.
Jeunesse commerçante : entre précarité et formalisme
Sous les parasols bigarrés, la majorité des vendeurs appartiennent à la tranche 20-35 ans, souvent sans emploi formel. Pour beaucoup, l’étal improvisé représente un amortisseur social. Le gouvernement, conscient de cette réalité, évoque la création de couloirs commerciaux réglementés et la simplification des patentes pour limiter les pertes de revenu. « Nous n’avons pas intérêt à opposer propreté et subsistance », souligne un responsable de la Chambre de commerce, favorable à des micro-crédits pour l’installation dans les marchés officiels.
Responsabilité citoyenne et urbanité partagée
La campagne « Ensemble, gardons nos villes propres », lancée en 2023 sous l’impulsion du Chef de l’État, sert à nouveau de socle communicationnel. Affiches, messages radio et réseaux sociaux rappellent que la ville appartient à tous et que l’occupation anarchique fragilise la qualité de vie. Des étudiants volontaires, regroupés dans l’association Génération Verte, s’engagent à documenter les zones nettoyées et à promouvoir une culture du tri sélectif. Le pari est d’inscrire l’acte de nettoyer dans un rituel citoyen pérenne plutôt qu’en opération-coup-de-poing.
Entre mémoire récente et projection durable
Les précédentes opérations, souvent déclenchées à la veille d’événements internationaux, avaient donné des résultats tangibles mais temporaires. Cette fois, le ministère table sur un suivi trimestriel et un renforcement des amendes pour décourager les récidives. Les urbanistes évoquent déjà la possibilité d’adopter un observatoire permanent de l’occupation du domaine public, outil d’aide à la décision numérique prisé par d’autres capitales africaines. En filigrane se dessine l’ambition d’une gouvernance urbaine capable de conjuguer résilience économique, attractivité touristique et bien-être des habitants.
Une ville à réinventer, un modèle à consolider
Au-delà du déguerpissement, le défi véritable réside dans la capacité à générer un consensus social autour de l’usage du sol, de la mobilité douce et de la propreté. Brazzaville, ville d’histoire et de fleuves, se sait observée par une génération connectée qui aspire à des espaces publics sûrs, esthétiques et inspirants. En orchestrant une opération conjuguant pédagogie, fermeté et accompagnement économique, les autorités entendent démontrer que l’assainissement n’est pas une parenthèse mais l’armature d’un projet urbain durable. Le rendez-vous du 5 juillet sera ainsi scruté comme un test grandeur nature de la capacité collective à transformer les promesses en réalités palpables.