Un pas décisif pour la santé oculaire populaire
Au cœur du quartier administratif de Brazzaville, un édifice jusque-là discret change de destin : les bâtiments 35 A et 35 B, cédés par décret présidentiel du 30 décembre 2019, viennent d’être confiés au Lions Club. La cérémonie de remise des clés, présidée par Bertrand Bakoula de la Direction centrale des logements et bâtiments administratifs, scelle la naissance d’un futur centre de santé oculaire pensé comme point d’ancrage permanent pour la prévention et le traitement des troubles de la vue.
L’enjeu dépasse la simple occupation immobilière. Dans un pays où la prévalence des affections oculaires progresse avec l’urbanisation et le vieillissement, l’accès à un dépistage régulier demeure un défi, notamment pour les ménages à faibles revenus. Offrir un espace pérenne, identifiable et gratuit constitue donc une réponse pragmatique qui s’inscrit dans l’objectif national d’extension de la couverture sanitaire.
Les clés d’une vision pérenne remises officiellement
« Nous voulions un lieu où rencontrer les patients et travailler dans la durée », explique Franck Hermann Kouassi, président de région 25 du Lions Club, visiblement soulagé d’obtenir l’accès effectif au site après plusieurs mois de démarches administratives. Le bâtiment ne sera pas seulement un centre de consultations ; il deviendra également le siège local de l’organisation et un symbole tangible de l’alliance entre secteur associatif et institutions publiques.
Le soutien gouvernemental s’inscrit dans une stratégie assumée de partenariat avec les acteurs de la société civile. En facilitant l’implantation d’une structure spécialisée, l’État table sur une amélioration de la prise en charge précoce, gage de diminution du coût futur des traitements lourds, tout en renforçant la prévention au sein des quartiers populaires.
Héritage humanitaire d’un siècle d’action mondiale
Depuis sa création en 1917, le Lions Club a fait de la lutte contre la cécité sa cause fondatrice. À Brazzaville, les campagnes annuelles de dépistage itinérant et de distribution de lunettes ont déjà permis à des milliers de bénéficiaires de recouvrer une acuité visuelle minimale. « La population réclamait désormais un point fixe où se faire examiner à tout moment », rappelle Claude Dossou, past-président de région 25.
L’infrastructure actuelle marque donc un changement d’échelle : au lieu de simples actions ponctuelles, il s’agit de bâtir une offre continue de soins primaires incluant examens, suivi, orientation vers la chirurgie et délivrance d’aides visuelles. L’esprit philanthropique se conjugue ici avec l’exigence de qualité d’un centre spécialisé animé par des optométristes et des ophtalmologues congolais formés aux protocoles internationaux.
Gratuité des prestations, enjeu social majeur
Le futur centre se veut accessible sans barrière financière. Les campagnes de dépistage, la prévention en milieu scolaire et la première paire de lunettes correctrices seront offertes aux patients vulnérables, conformément à la vocation sociale du Lions Club. « Nous voulons que chaque Brazzavillois puisse faire vérifier sa vue sans obstacle », insiste Franck Hermann Kouassi.
Cette gratuité s’appuie sur un modèle économique hybride : financements philanthropiques, dons d’équipement et conventions avec les hôpitaux publics pour la prise en charge chirurgicale. L’objectif consiste à éviter que le coût des soins n’aggrave la précarité, à l’heure où la demande en santé oculaire explose notamment chez les travailleurs informels exposés à la poussière et aux écrans lumineux des téléphones.
Alliances stratégiques avec les institutions publiques et privées
Le réseau se renforce grâce à l’appui annoncé de l’ONG Mutualistes sans Frontières, déjà à l’origine de l’unique école publique d’optique du continent et de l’école d’ambulanciers du Congo. Son représentant, le professeur Thierry Yandza, a confirmé la disponibilité de matériel de pointe pour équiper les salles de consultation et de réfraction. Cette coopération technique complète l’engagement logistique du gouvernement, créant un écosystème où expertise académique et besoins citoyens convergent.
Des protocoles de collaboration sont également en négociation avec les universités et les start-up congolaises de télémédecine afin d’intégrer des solutions numériques de dépistage à distance. Les statistiques anonymisées recueillies alimenteront les bases de données du ministère de la Santé pour orienter les futures politiques publiques.
Un tremplin de formation et d’emploi pour les jeunes opticiens
Au-delà du soin, le projet représente une opportunité professionnelle pour la tranche d’âge 20-35 ans. Les étudiants de l’école congolaise d’optique pourront effectuer leurs stages au sein du centre, bénéficiant d’un encadrement clinique moderne. Des modules de formation continue sur la basse vision et la maintenance d’appareils de diagnostic seront ouverts aux techniciens biomédicaux.
En créant un vivier local de compétences, le Lions Club participe à l’ambition gouvernementale de diversification de l’économie hors pétrole. Les jeunes praticiens formés sur place auront la possibilité de s’installer en province, favorisant ainsi un maillage territorial équitable et limitant l’exode vers l’étranger.
Externalités économiques positives et cohésion citoyenne
L’impact d’un meilleur dépistage visuel se mesure également en productivité. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une acuité insuffisante réduit de 20 % l’efficacité au travail manuel. À Brazzaville, où les PME constituent le poumon de l’emploi, corriger un défaut de vision peut donc augmenter le revenu des ménages et stimuler la consommation locale.
Sur le plan sociétal, le centre ambitionne de devenir un lieu d’éducation à la santé. Des sessions publiques sur la protection visuelle face aux écrans ou aux rayons ultraviolets renforceront la prévention. En favorisant des interactions régulières entre bénévoles, professionnels et patients, l’initiative nourrit un sentiment d’appartenance et de solidarité, pierre angulaire d’une citoyenneté active.
Brazzaville, tête de pont d’une ambition sous-régionale
Si l’expérimentation brazzavilloise démontre son efficience, le Lions Club envisage déjà d’étendre le modèle aux chefs-lieux départementaux, avec l’appui technique du ministère de la Coopération régionale. L’objectif est de constituer un corridor sanitaire capable de répondre à la demande croissante de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Pour l’heure, l’ancienne bâtisse administrative vit une renaissance symbolique : des bureaux autrefois dévolus aux archives abriteront bientôt lampes à fente, auto-réfractomètres et ateliers de montage. La jeunesse congolaise, actrice et bénéficiaire de cette métamorphose, aura à portée de main un outil concret pour préserver sa vision et, avec elle, son avenir.
