Brazzaville au cœur de la Francophonie culturelle
Sous les palmiers du Boulevard Denis-Sassou-Nguesso, la 12ᵉ édition du Festival panafricain de musique (Fespam) a rappelé que Brazzaville demeure un carrefour stratégique de la création francophone. Le 24 juillet, au sein du Palais des congrès, la présence de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a donné un relief particulier au rassemblement. Devant un auditoire composé majoritairement de jeunes artistes de 20 à 35 ans, le chargé de projets Kanel Engandja Ngoulou a dévoilé deux mécanismes de financement que beaucoup découvraient seulement alors, malgré leur impact potentiel sur la scène congolaise.
Des fonds calibrés pour propulser la mobilité
Premier dispositif, le « Fonds de mobilité des artistes et de circulation des biens culturels » alloue 150 000 euros à l’ensemble de l’espace francophone. Les bénéficiaires peuvent prétendre à 5 000 euros de frais de déplacement et, en complément, à 2 500 euros dédiés à la logistique des œuvres. « Ces aides sont cumulables et permettent réellement de donner corps à une ambition artistique », a insisté M. Engandja Ngoulou, rappelant que la durée minimale d’exercice professionnel exigée est de deux ans. Théâtre, danse, musique urbaine, bande dessinée ou vidéo-art : les disciplines admissibles reflètent la pluralité des pratiques que l’on observe aujourd’hui à Makélékélé, Talangaï ou Pointe-Noire.
Dans un contexte où le prix du billet d’avion constitue souvent la principale barrière à l’exportation des talents locaux, le volet mobilité de l’OIF arrive à point nommé. Les collectifs hip-hop rêvent de participer au festival « Les Récréâ-trales » de Ouagadougou, tandis que les compagnies de danse contemporaine visent désormais la Biennale de Dakar. Pour bon nombre d’entre eux, l’enjeu n’est plus de créer, mais de franchir les frontières administratives et budgétaires.
Découvrabilité numérique, le défi contemporain
Second instrument, le « Fonds pour la distribution et la découvrabilité des œuvres francophones » dispose de 300 000 euros. Il s’adresse aux structures légalement constituées – associations, sociétés de production, maisons d’édition – capables de porter des budgets conséquents. Les subventions peuvent atteindre 30 000 euros pour les initiatives de diffusion et 50 000 euros pour les solutions numériques, dans la limite de 80 % du coût global. À l’heure où les playlists Spotify et les algorithmes YouTube dictent l’accès aux contenus, la question de la visibilité est cruciale. « Nous voulons que les artistes de Brazzaville deviennent repérables d’un clic à Montréal ou à Antananarivo », explique le représentant de l’OIF.
Les porteurs de projets devront ainsi démontrer leur capacité à optimiser le référencement, à développer des bases de données multilingues et à consolider des partenariats avec les grandes plateformes de streaming. Un défi technique mais incontournable pour conquérir un public jeune dont la consommation culturelle se joue essentiellement sur smartphone.
Une fenêtre de candidature serrée mais inclusive
Les deux appels s’achèvent le 19 août, soit un délai de moins d’un mois après leur présentation. Dossier artistique, budget prévisionnel, preuves d’existence juridique, rapports d’activités précédents : la liste des pièces exigées peut intimider les primo-candidats. Pour pallier toute appréhension, l’OIF a prévu deux séances d’information interactives en ligne les 31 juillet et 1ᵉʳ août. L’objectif est d’anticiper les questions, lever les incertitudes documentaires et, surtout, encourager une participation congolaise jugée « trop timide » au regard des succès enregistrés par le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou la Tunisie.
À Brazzaville même, plusieurs ateliers d’accompagnement seront animés par le Bureau sous-régional de l’Unesco et le Réseau des journalistes culturels. Une ingénierie locale se met donc en place pour transformer l’opportunité francophone en concrétisation nationale.
Jeunesse et gouvernance financière exemplaire
L’accent mis sur la tranche 18-35 ans s’inscrit dans la stratégie adoptée par les autorités nationales, conscientes que l’économie culturelle représente un vivier d’emplois non délocalisables. La ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs a d’ailleurs salué, dans un message relayé par la Radio-Télévision congolaise, « une convergence bienvenue entre la politique publique et le soutien multilatéral ».
Tout en encourageant les candidatures féminines, l’OIF insiste sur la rigueur comptable. « Il ne s’agit pas de financer des dépenses personnelles, mais de contribuer au rayonnement de nos talents », rappelle Kanel Engandja Ngoulou. Cette condition d’exemplarité rejoint l’engagement du gouvernement congolais pour une gestion efficiente des fonds internationaux, garante de la crédibilité du pays et de sa jeunesse créative.
Vers un nouvel écosystème artistique panafricain
En définitive, la combinaison des volets mobilité et découvrabilité dessine les contours d’une diplomatie culturelle rénovée, où l’artiste n’est plus un simple ambassadeur symbolique, mais un acteur économique stratégique. L’intégration de plateformes numériques, la mise en réseau des festivals et l’adaptation aux exigences de la scène globale pourraient, à moyen terme, générer des retombées en matière de tourisme culturel et de diversification des revenus nationaux.
Si la route reste jalonnée d’obstacles administratifs et technologiques, les signaux convergent : Brazzaville est prête à transformer son foisonnement créatif en véritable industrie. Aux artistes et aux entrepreneurs de saisir la main tendue; aux institutions de perpétuer cet accompagnement. Comme l’a résumé un percussionniste venu de Ouesso, « la musique bat déjà, il manque seulement le haut-parleur ». À présent, l’OIF branche l’amplificateur.