Aux origines d’une donation coloniale controversée
À l’ombre des kapokiers de Mpissa s’étend une parcelle que la mémoire locale rattache à l’année 1943, époque où l’administration coloniale, soucieuse d’encadrer les mouvements spirituels émergents, aurait octroyé aux fidèles du prophète Simon Kimbangu et à leurs alliés matsouanistes un espace de culte et d’accueil. Dans les archives, la preuve écrite se fait rare, mais la tradition orale demeure vivace : le site, précise le guide actuel Borja Miakanguila, « ne relève d’aucune propriété privée ». Cette affirmation, portée par des décennies de pratiques cultuelles, confère au terrain une dimension quasi sacramentelle qu’aucun acte notarié ne semble avoir pu altérer.
Pour les jeunes adultes brazzavillois, souvent confrontés à la pénurie de foncier urbain, l’histoire intrigue. Comment un espace public de facto a-t-il pu échapper aux vagues successives de lotissements ? La réponse, selon plusieurs urbanistes, tient moins à un statut juridique qu’à un consensus tacite : tant que la communauté entretenait le lieu, autorités municipales et riverains y voyaient un pôle spirituel contribuant à la cohésion du quartier.
Une succession qui bouscule les équilibres communautaires
Le calme a volé en éclats lorsque les héritiers de feu Daniel Tsiakaka, figure charismatique des premières heures du mouvement, ont produit en 2000 un titre foncier qui érige la parcelle en héritage familial. Pour eux, l’acte confirme une volonté paternelle : vendre et réinvestir. Pour les fidèles, il renie l’essence même de la donation. Le juge de paix, saisi, a tranché le 16 septembre 2024 en faveur des successibles, ordonnant un séquestre conservatoire. La nouvelle a retenti comme un gong, révélant au grand public une fracture insoupçonnée au sein même du mouvement religieux.
Au-delà du conflit interne, la jeunesse observe une tension plus large : l’articulation entre droit successoral et biens collectifs. Comme le rappelle le juriste Émile Gambouissa, « le Code civil congolais protège la propriété privée, mais admet aussi les affectations d’utilité publique. Tout dépend de la qualification originelle ». Le débat fait écho à d’autres dossiers où la force symbolique d’un lieu défie les logiques marchandes d’une capitale en croissance.
La bataille des titres : registres publics contre mémoire collective
Pour étayer leur cause, les Matsouanistes présentent une attestation d’appréciation favorable délivrée par le chef de quartier, document qui, sans valoir titre, reconnaît l’usage communautaire. L’argument se double d’un soupçon : « La régularisation de 2000 a été obtenue par des voies douteuses », avance Borja Miakanguila. Face à lui, la famille Tsiakaka brandit un acte cadastral dûment enregistré auprès des services de la Conservation de la propriété foncière.
Les magistrats, tenus par les pièces officielles, se trouvent au cœur d’une dialectique complexe entre légalité formelle et légitimité historique. Certains observateurs évoquent la jurisprudence Ndavouka, où la Cour suprême avait fait primer l’intérêt collectif sur un certificat d’enregistrement, estimant que la valeur culturelle du site justifiait une expropriation pour cause d’utilité publique. L’affaire Mpissa pourrait-elle suivre ce chemin ? Les étudiants en droit, nombreux à débattre sur les réseaux sociaux, voient là un cas d’école en matière de gouvernance du patrimoine immatériel.
Le rôle attendu des pouvoirs publics dans la pacification
Alors que les réseaux relaiment les propos alarmistes du guide spirituel – « avant qu’on ne s’entretue » – les autorités locales ont multiplié les appels au calme. La préfecture de Brazzaville assure suivre le dossier « avec la plus grande attention », rappelant que toute exécution forcée peut être suspendue par voie d’opposition, ce qu’a effectivement introduit la partie matsouaniste. Dans le même temps, le ministère des Affaires foncières encourage la médiation, instrument reconnu par la loi de 2019 sur la modernisation de la justice, pour « prévenir les ruptures du tissu social ».
Sous la houlette du président Denis Sassou Nguesso, plusieurs programmes de régularisation foncière ont vu le jour pour sécuriser les occupants et favoriser l’investissement urbain. Dans ce cadre, Mpissa pourrait bénéficier d’une expertise contradictoire afin d’établir la valeur historique du site et d’en déterminer la vocation. À en croire l’urbaniste Clarisse Okombi, « la puissance publique dispose d’outils pour concilier mémoire, droit et développement. Il s’agit surtout d’en user avec tact et transparence ».
Quel futur pour Mpissa et sa symbolique urbaine ?
Au-delà du clash juridique, Mpissa incarne la tension entre une capitale qui se verticalise et des espaces porteurs d’identité. Si la vente aboutissait, les acheteurs potentiels devraient composer avec une charge symbolique forte : ériger un immeuble sur un ancien sanctuaire n’est jamais neutre. Inversement, inscrire la parcelle au patrimoine culturel ouvrirait la voie à des financements pour la réhabilitation du site et la création d’activités économiques pérennes, comme le tourisme mémoriel que plébiscitent nombre de start-ups congolaises.
Dans l’attente, la jeunesse de Bacongo scrute l’issue du dossier, consciente que sa résolution donnera le ton aux prochains arbitrages fonciers. Si le terrain matsouaniste trouve un règlement équilibré, il pourrait devenir un précédent rassurant, preuve qu’un dialogue respectueux des textes et des sensibilités demeure possible dans la République du Congo.