Le rendez-vous stratégique de Brazzaville
Dans la douce torpeur de la saison sèche, l’imposant palais des congrès de Brazzaville a renoué avec l’effervescence des grands jours. Du 16 au 18 juillet, la deuxième session ordinaire du Conseil national de santé a réuni, autour du ministre Jean Rosaire Ibara, une constellation d’experts, de bailleurs techniques et financiers ainsi que de représentants de la société civile. Quarante ans après son institution par le décret n° 84-290, ce cadre de concertation s’offre une cure de jouvence : il s’agit de repenser la gouvernance du secteur, d’actualiser les référentiels juridiques et de dégager des pistes pour soutenir une couverture sanitaire plus inclusive.
Un financement à réinventer pour combler l’écart d’Abuja
Premier constat posé par les participants : le financement public de la santé plafonne à 4,2 % du budget national, bien en deçà des 15 % préconisés par la Déclaration d’Abuja. Sans dramatiser, le ministre Ibara reconnaît que cette proportion limite la capacité d’investissement, notamment pour la maintenance des plateaux techniques et l’achat de médicaments essentiels. D’où l’appel lancé à une diversification des sources de revenus. Outre les crédits budgétaires classiques, la session explore l’obligation de responsabilité sociétale des grandes entreprises extractives, l’élargissement des partenariats public-privé et l’instauration d’une fiscalité ciblée sur les produits nocifs, tels que boissons sucrées et tabac. « Nous devons passer d’une logique de guichet à une logique d’écosystème », insiste un cadre du ministère des Finances, convaincu que l’innovation financière peut stimuler la solidarité nationale sans grever le pouvoir d’achat.
Capital humain : cap sur les zones rurales
La bonne gouvernance sanitaire repose aussi sur un personnel motivé et bien réparti. Le Congo compte environ un médecin pour 8 000 habitants, avec une forte concentration à Brazzaville et Pointe-Noire. Pour corriger cette inégalité, les experts planchent sur des mécanismes d’incitation : primes d’éloignement, logements fonctionnels, bourses de spécialisation conditionnées à un service en zone enclavée. Ces mesures s’adosseraient aux récents investissements structurels – mise en service de deux hôpitaux généraux ultramodernes et de dix-huit centres de santé intégrés – afin d’éviter que les infrastructures ne deviennent des coquilles vides faute de personnel qualifié. « La ruralité ne doit plus être vécue comme une sanction professionnelle mais comme un tremplin de carrière », rappelle un doyen de la faculté de médecine.
Maladies transmissibles et non transmissibles : le défi du double fardeau
Le tableau épidémiologique national invite à la vigilance. Si la prévalence du paludisme et de la tuberculose reste élevée, les maladies non transmissibles (MNT) gagnent du terrain et concentrent près de 45 % des causes de mortalité. Hypertension artérielle, diabète et cancers traduisent l’urbanisation rapide, les changements alimentaires et la sédentarité. Les participants recommandent un renforcement du dépistage précoce, une meilleure disponibilité des médicaments contre les MNT et l’intégration systématique de la prévention dans les programmes scolaires et communautaires. De son côté, le représentant résident de l’Organisation mondiale de la Santé, Dr Vincent Dossou Sodjinou, souligne « l’impérieuse nécessité d’une approche de santé publique fondée sur les preuves et les droits ». Il rappelle que la coopération multilatérale peut accélérer l’accès aux vaccins, tests rapides et antirétroviraux, tout en soutenant la formation continue du personnel.
Vers une architecture sanitaire résiliente
Au-delà des chiffres et des modèles, la session insiste sur la gouvernance participative. La Commission technique permanente du Conseil sera, dans les prochains mois, chargée de traduire les recommandations en feuilles de route assorties d’indicateurs mesurables. L’ambition affichée est d’atteindre, d’ici 2030, un taux de couverture sanitaire universelle compatible avec les Objectifs de développement durable. Pour y parvenir, l’articulation entre État, collectivités locales, secteur privé et partenaires internationaux sera primordiale. La digitalisation des données sanitaires, le recours à la télémédecine et la mutualisation des achats pharmaceutiques constituent autant de leviers identifiés pour optimiser la performance et assurer la transparence.
En fermant les travaux, le ministre Jean Rosaire Ibara s’est voulu consensuel : « Notre responsabilité collective est de construire un système de santé capable d’absorber les chocs, qu’ils soient épidémiques, climatiques ou économiques. Le Congo dispose du capital humain et des ressources pour y parvenir, à condition de maintenir le cap des réformes. » Les applaudissements nourris qui ont suivi témoignent d’un espoir partagé : celui d’un avenir où chaque Congolais pourra compter sur des soins de qualité, quel que soit son lieu de résidence.