Épilogue d’un litige foncier international
La Cour suprême du Congo-Brazzaville a mis un terme, le 13 août 2025, à l’une des plus longues batailles foncières de la capitale. Par son arrêt, elle confirme le droit de propriété de la République de Bulgarie sur la parcelle 97, section O, quartier La Poste.
Cette décision, devenue irrévocable, clôt une procédure entamée en 2021 par Mme Gisèle Ngoma, qui affirmait avoir acquis légalement le terrain. Son pourvoi dénonçait, entre autres, une mauvaise interprétation de la loi et une violation de ses droits fondamentaux.
L’arrêt rappelle toutefois qu’un acte de vente authentique avait été signé le 21 septembre 1971 devant le notaire Roger Gnali Gomez, transférant la parcelle à l’État bulgare pour y établir sa représentation diplomatique. Aucun document postérieur n’est venu, selon la Cour, ébranler cette chaîne de titres.
Le raisonnement de la Cour suprême
Les magistrats suprêmes se sont d’abord penchés sur la compétence des juridictions civiles et ont écarté toute immunité susceptible de bloquer le débat. Ils ont ensuite vérifié que la Cour d’appel avait correctement examiné la validité du titre bulgare, avant de confirmer sa décision.
Dans son arrêt, la haute juridiction rappelle que l’article 46 du Code foncier confère un caractère définitif à l’immatriculation inscrite dans le livre foncier. La Bulgarie apparaissant comme propriétaire, la prétention adverse ne pouvait triompher sans prouver l’existence d’un vice de consentement ou de forme.
La Cour souligne enfin que la présence diplomatique bulgare à Brazzaville participe aux engagements internationaux du Congo et qu’un trouble persistant aurait nui à l’image de la capitale. Sur ce fondement, elle a validé l’astreinte de 500 000 F CFA en cas de résistance.
Les arguments de la défense Ngoma
Me Jean-Patrick Mvouba, conseil de Mme Ngoma, plaidait que sa cliente détenait un acte d’acquisition de 2009 sur la même parcelle. Il soutenait surtout que le terrain avait été abandonné pendant plusieurs décennies, ouvrant droit à une occupation paisible et continue, donc prescriptive.
Les juges ont écarté cet argument en rappelant qu’un bien appartenant à un État étranger bénéficiant d’une affectation diplomatique ne se perd pas par simple non-usage. Le délai de prescription allégué ne commence donc pas à courir, même au terme des trente ans prévus.
Enjeux diplomatiques et urbains
Le terrain, stratégiquement situé à deux pas de la poste centrale, revêt plus qu’une valeur marchande. Il permet à la Bulgarie d’assurer ses services consulaires dans des conditions de proximité appréciées par sa diaspora et par les étudiants congolais détenteurs de bourses bilatérales.
Pour la mairie de Brazzaville, la décision apporte aussi un gage de stabilité au centre-ville. En période de densification urbaine, les autorités locales cherchent à sécuriser la vocation des parcelles stratégiques afin de maintenir une cohérence architecturale et des corridors de circulation efficaces.
Interrogé, le géographe urbain Luc-Alain Mandiela estime que l’arrêt « envoie un signal aux investisseurs internationaux : Brazzaville protège la propriété légale et la continuité diplomatique ». Selon lui, cette visibilité peut attirer des projets de restauration patrimoniale dans la zone postale historique.
Ce que retient la génération 2000
Sur les réseaux sociaux, de jeunes juristes congolais voient dans ce verdict une leçon de prudence. « Avant d’acheter, vérifiez le livre foncier », rappelle Nelly, 25 ans, masterante à l’université Marien-Ngouabi, estimant que l’affaire illustre l’importance des recherches préalables.
D’autres s’interrogent sur l’accès au logement en centre-ville et l’écart grandissant entre des missions diplomatiques bien loties et des familles locales contraintes de s’éloigner. Economiste spécialisé en développement, Hervé Malanda nuance : « La clarté foncière profite à tous, car elle réduit les litiges coûteux ».
Le gouvernement, par la voix d’un responsable du ministère des Affaires foncières, se félicite « d’une jurisprudence qui consolide la transparence et rassure nos partenaires ». La même source indique que des ateliers de sensibilisation à la sécurisation des titres seront lancés auprès des primo-acquéreurs.
Pour rappel, Brazzaville abrite plus d’une trentaine de chancelleries, dont certaines occupent encore des bâtiments hérités de l’époque coloniale. Les litiges restent rares, mais l’État encourage désormais le réexamen préventif des contrats afin d’éviter les procédures prolongées très médiatisées.
Cette affaire aura donc rappelé la nécessité d’une gouvernance foncière vigilante, tant pour la diplomatie que pour les particuliers. En tranchant en faveur de la Bulgarie, la Cour suprême conforte le principe de l’intangibilité des titres authentiques, socle de toute stratégie d’aménagement durable.
Pour les jeunes actifs brazzavillois confrontés à la flambée des loyers, l’enseignement est clair : la sécurité juridique reste la première pierre d’un projet immobilier. Et, parfois, elle s’écrit dans les archives d’un vieux notaire, loin des promesses trop rapides du marché.