Un câble transcontinental de 3 800 kilomètres sous les projecteurs
Dans l’univers foisonnant des infrastructures énergétiques, le projet Xlinks s’est rapidement hissé au rang des initiatives les plus iconiques de la dernière décennie. L’idée, simple dans son énoncé mais titanesque dans son exécution, consiste à relier une centrale hybride solaire-éolienne de 10,5 GW construite dans le sud désertique du Maroc à la côte du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre, au moyen d’un câble sous-marin longue distance de 3 800 kilomètres. En théorie, cette ligne à courant continu à haute tension pourrait acheminer près de 8 % des besoins électriques britanniques, offrant à Londres une énergie décarbonée et relativement bon marché, puisque produite là où l’ensoleillement et les vents sont plus constants qu’au-delà de la Manche.
Le revirement britannique et ses raisons officielles
Le 1ᵉʳ juin, le Department for Energy Security and Net Zero a fermé la porte à l’option privilégiée par Xlinks : un Contract for Difference de vingt-cinq ans, dispositif qui assure un prix d’achat fixe et constitue le socle financier de la plupart des grands parcs off-shore britanniques. Le ministère invoque désormais une « priorité donnée au développement des capacités domestiques », en clair le déploiement accéléré de panneaux photovoltaïques dans le nord de l’Angleterre, de parcs éoliens flottants en mer du Nord et d’une relance du nucléaire civil. À Whitehall, certains conseillers estiment qu’un engagement d’aussi longue durée envers une entité non britannique ferait peser un risque de dépendance stratégique (source gouvernementale).
Conséquences pour la stratégie énergétique européenne
Cette décision rebat les cartes bien au-delà du Royaume-Uni. Pour les observateurs du marché, l’abandon du CfD ne signifie pas la mort du projet, mais l’ouverture d’une compétition entre grands industriels continentaux pour sécuriser l’électricité verte issue du Sahara atlantique. Les groupes sidérurgiques allemands engagés dans l’hydrogène vert, ou les géants de la chimie néerlandaise, pourraient se montrer intéressés par des contrats privés à long terme, appelés Power Purchase Agreements. Le positionnement géographique du câble, qui longerait la péninsule ibérique avant de rejoindre la façade ouest française, permettrait en effet un raccordement souple vers plusieurs nœuds du réseau européen.
Les perspectives marocaines demeurent intactes
À Rabat, le chantier reste classé « priorité nationale ». Les autorités voient dans Xlinks un prolongement de leur stratégie Masen, laquelle vise 52 % de renouvelables dans le mix électrique du royaume à l’horizon 2030. Le consortium a d’ailleurs maintenu son calendrier réglementaire : évaluation environnementale, sécurisation foncière et commandes des câbles en usine. Selon la presse casablancaise, les ingénieurs travaillent à un plan B qui consisterait à fractionner le projet en tranches afin d’attirer simultanément plusieurs acheteurs européens. Cette modularité renforcerait la souveraineté énergétique du Maroc, tout en lui conférant un rôle pivot d’exportateur vert sur l’axe Atlantique.
La résilience entrepreneuriale de Xlinks face à l’incertitude
Pour Simon Morrish, directeur général de Xlinks, ce refus britannique n’est qu’un « contretemps tactique » et non une impasse stratégique. L’entreprise poursuit la procédure de Development Consent Order, indispensable pour tout atterrissement de câble au Royaume-Uni. Surtout, elle renforce son lobbying auprès de Bruxelles afin d’obtenir le label Project of Common Interest, gage d’un accès facilité aux financements de la Banque européenne d’investissement. Les investisseurs privés, qu’il s’agisse de fonds souverains du Golfe ou de gestionnaires d’actifs spécialisés dans les infrastructures, restent attentifs à la promesse d’un rendement stable dans un secteur où la demande ne cesse de croître.
Quelles leçons pour Brazzaville et la jeunesse congolaise
L’épisode Xlinks illustre la plasticité du financement des grands projets verts, mais aussi la nécessité d’une planification de long terme. Pour les jeunes diplômés congolais, ingénieurs ou gestionnaires, il rappelle que l’innovation énergétique ne repose plus exclusivement sur la ressource fossile, mais sur la capacité à nouer des partenariats transfrontaliers et à intégrer les impératifs climatiques dans le modèle économique. Le Congo-Brazzaville, riche de son potentiel hydroélectrique et solaire, gagnerait à s’inspirer de cette approche hybride : sécuriser la demande locale, puis convertir l’excédent en opportunités d’exportation régionale. Comme le souligne un analyste de la Commission de la CEEAC, « la transition verte est d’abord un exercice de diplomatie économique ». À la lumière de l’expérience marocaine, il appartient aux entrepreneurs et aux décideurs de Brazzaville de concevoir des montages financiers créatifs, susceptibles d’attirer capitaux et technologies sans compromettre la souveraineté nationale.
Vers une recomposition des flux énergétiques transcontinentaux
Au-delà du cas Xlinks, c’est toute la cartographie des échanges électriques qui se reconfigure. Les premiers câbles sous-marins reliant le Maghreb à l’Europe, comme l’interconnexion Espagne-Maroc de 1997, étaient essentiellement bilatéraux. Les initiatives actuelles, plus longues, intègrent dès la conception une logique de hub interrégional. Elles annoncent une ère où les frontières géographiques cèdent devant la contrainte climatique et l’arbitrage économique. Cette dynamique ouvre des perspectives inouïes pour les économies côtières d’Afrique centrale. Derrière chaque câble posé sur le fond océanique se cache un réseau de start-up, de sous-traitants, de chercheurs et de techniciens dont la valeur ajoutée irrigue des filières entières, du design de convertisseurs à l’intelligence artificielle appliquée à la maintenance prédictive.
Cap sur l’avenir : audace, prudence et coopération
Si le UK Treasury a choisi la prudence budgétaire, Xlinks mise sur l’audace industrielle. Entre les deux, se dessine un fil rouge : la coopération. Sans l’alignement des régulateurs, des investisseurs et des consommateurs finaux, aucune infrastructure de cette ampleur ne saurait voir le jour. Dans ce jeu d’équilibriste, le Maroc confirme son rôle de pont énergétique entre continents, tandis que l’Europe cherche un mix moins carboné pour atteindre la neutralité en 2050. Pour la jeunesse congolaise, cette saga rappelle qu’une vision claire, associée à une gouvernance stable, demeure la condition sine qua non pour transformer un potentiel en réussite tangible.