Une acquisition stratégique au cœur de l’Afrique centrale
Le 6 août 2025, les conseils d’administration de la Société Le Grand Moulin du Cameroun et de la Société Le Grand Moulin du Phare, basées respectivement à Douala et Pointe-Noire, ont validé leur passage définitif sous pavillon Cadyst.
Ce dénouement conclut dix mois de tractations avec Somdia, branche agro-industrielle du groupe français Castel, et ouvre à l’entreprise dirigée par l’industriel camerounais Célestin Tawamba un corridor inédit entre les deux rives du fleuve Congo et le golfe de Guinée.
Cadyst, un parcours industriel ambitieux
Né dans la meunerie, Cadyst s’est forgé en deux décennies un portefeuille de sept sites industriels couvrant la transformation de céréales, l’emballage et la logistique. Son fondateur explique viser « la masse critique qui permettra aux matières premières africaines de nourrir d’abord l’Afrique ».
Le groupe a déjà investi dans un terminal céréalier à Kribi, capitale en devenir du transbordement régional. L’entrée au Congo s’inscrit dans cette logique de chaîne intégrée, où les volumes amortissent les coûts et où la proximité des clients garantit la fraîcheur.
Le marché congolais des farines, enjeux et potentiel
Au Congo-Brazzaville, la consommation annuelle de farine blé avoisine 150 000 tonnes, selon la direction générale de l’Économie. La production locale couvre à peine la moitié, contraignant les boulangeries à importer des sacs depuis Abidjan ou Las Palmas malgré des coûts logistiques élevés.
L’arrivée de Cadyst à Pointe-Noire pourrait réduire ces dépendances. D’après le syndicat national des boulangers, une offre plus abondante et stable permettrait de lisser les prix du pain, très sensibles à la volatilité du fret maritime, et de soutenir les 4 000 emplois directs du secteur.
Souveraineté alimentaire et Zlecaf, même combat
Brazzaville s’est engagée, dans son Plan national de développement 2022-2026, à relever le taux d’autosuffisance céréalière. Les usines rachetées viennent compléter cet objectif en accroissant la capacité de transformation locale et en facilitant l’accès des agriculteurs aux coproduits valorisables comme le son de blé.
En toile de fond, la Zone de libre-échange continentale offre un marché de 1,3 milliard d’habitants. Cadyst ambitionne d’expédier vers le Tchad ou la Centrafrique en profitant des corridors routiers rénovés. « Notre compétitivité dépendra d’abord de la fluidité frontalière », résume un cadre.
Financement local, confiance continentale
La levée de fonds orchestrée par Afriland First Bank et trois banques congolaises illustre la capacité des institutions africaines à porter des tickets supérieurs à 50 milliards de francs CFA. Les analystes y voient un signal positif pour l’émergence d’une finance long terme régionale.
Le maintien du montant de la transaction sous le sceau de la confidentialité n’a pas empêché la Commission de la Cemac de valider l’opération. L’autorité a salué le respect des règles de concurrence tout en encourageant les groupes locaux à se consolider davantage.
Création d’emplois et transfert de compétences
La reprise s’accompagne d’un plan de formation des 280 salariés congolais aux standards ISO 22000. Un partenariat est envisagé avec l’Institut supérieur des technologies de Brazzaville pour introduire un module sur la maintenance industrielle, champ que les entreprises peinent aujourd’hui à couvrir localement.
Le ministère de l’Industrie souligne que chaque poste permanent dans la meunerie génère trois emplois induits, du transporteur au revendeur de son. À terme, l’effet multiplicateur pourrait dépasser 2 000 emplois, une contribution saluée par les associations de jeunes diplômés.
Diversification vers l’agro-industrie intégrée
Au-delà de la farine, Cadyst projette une usine d’aliments composés pour volailles, segment porté par la demande croissante en protéines abordables. Le Congo importe encore 70 % de ses poussins d’un jour, un gisement que le groupe espère internaliser rapidement.
Le chef de division agriculture du ministère mentionne également l’intérêt d’utiliser les issues de mouture pour fabriquer des blocs nutritifs destinés aux éleveurs bovins du Niari. « Cette approche d’économie circulaire réduira les pertes et soutiendra la filière viande locale », explique-t-il.
Une gouvernance renouvelée, gage de transparence
L’entrée d’Elizabeth Gouater, l’une des rares femmes dirigeantes du secteur, au conseil d’administration du moulin de Pointe-Noire a été saluée par la confédération patronale. Elle promet d’« installer un reporting extra-financier aligné sur les standards ESG internationaux ».
Dans un contexte où les consommateurs exigent traçabilité et qualité, cette démarche vise à rassurer les distributeurs modernes et à attirer les investisseurs à impact. Un audit énergétique est déjà programmé pour réduire de 15 % la consommation d’électricité d’ici fin 2026.
Perspectives pour la jeunesse congolaise
Pour nombre de jeunes diplômés, l’implantation d’un groupe régional reconnu véhicule le message que « l’on peut réussir ici ». Les incubateurs de Brazzaville voient déjà un intérêt accru pour les agri-start-up, conscientes qu’un débouché industriel domestique crédibilise leurs prototypes.
A l’horizon, l’enjeu sera de maintenir un climat d’affaires propice, afin que d’autres success-stories industrielles puissent éclore au Congo-Brazzaville. Cadyst dit vouloir jouer un rôle de mentorat, parrainant des concours d’innovation et ouvrant ses laboratoires de contrôle qualité aux jeunes chercheurs.
