La CAN 2025, un défi logistique XXL
Le Maroc s’est vu confier l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et, avec elle, un chantier colossal où la technologie devient une alliée stratégique. Au-delà du prestige, le royaume doit orchestrer stades, transports et hébergements dans une homogénéité quasi chirurgicale.
Réunis virtuellement lors du 24e webinaire Carrefoot, des experts du continent ont démonté chaque boulon du chantier numérique. La Marocaine Nouhaïla Immani, le Béninois Arnaud Lokonon et le Franco-Béninois Fawaz Adjibade ont livré une radiographie sans filtre des attentes et des pièges.
Pour Nouhaïla Immani, doctorante à l’Université de Casablanca, la CAN 2025 représente une coordination institutionnelle inédite. Elle estime qu’un pilotage clair des investissements garantira la durabilité des enceintes et évitera l’effet éléphant blanc que redoutent souvent les citoyens après un grand tournoi.
Billetterie en ligne et sécurité au premier plan
Les billets papier qui se revendent au noir à la sortie des stades appartiendront bientôt au passé. Fawaz Adjibade préconise une billetterie 100 % dématérialisée, appuyée par la blockchain, capable de tracer chaque entrée et de désamorcer la spéculation en temps réel.
La même plate-forme gérerait aussi les accréditations des médias, des volontaires et des officiels. En reliant une carte NFC à un passe personnalisé, les organisateurs pourraient contrôler les zones sensibles du stade, fluidifier les contrôles et diminuer les files qui frustrent souvent les supporters congolais expatriés.
Au cœur de ce dispositif, la data joue le rôle de vigie. Grâce aux caméras intelligentes couplées à l’intelligence artificielle, les incidents peuvent être détectés en amont, permettant aux forces de l’ordre de contenir une bousculade avant qu’elle ne se transforme en drame.
Des expériences spectateurs ultra connectées
Mais la magie n’opérera que si les fans ressentent la différence. Arnaud Lokonon imagine une application unique embarquant billet, plan du stade, e-commerce de maillots et même traduction simultanée pour les visiteurs anglophones. L’utilisateur commande son kebab sans quitter sa place, la livraison arrive pendant la mi-temps.
L’enjeu dépasse le confort : chaque clic livre une mine d’informations aux marques et aux organisateurs. En analysant le parcours d’achat, ils peuvent ajuster l’offre en temps réel, créer des animations ciblées et prolonger la fête sur les réseaux sociaux longtemps après le coup de sifflet final.
Cette dimension connectée trouve un écho particulier chez les 16-35 ans de Brazzaville et Pointe-Noire, habitués aux stories TikTok. Ils rêvent déjà de filtres exclusifs et de challenges en direct depuis les tribunes. La CAN 2025 pourrait devenir le premier tournoi africain véritablement conçu pour la génération mobile.
Opportunités pour les start-up d’Afrique centrale
Au-delà du spectacle, les intervenants voient une fenêtre de tir pour l’écosystème tech d’Afrique centrale. Paiements sans contact, wifi satellitaire ou navettes autonomes peuvent être développés depuis Libreville, Douala ou Brazzaville, puis exportés vers Casablanca avant de parcourir le continent.
« Nous appelons les jeunes développeurs à prototyper dès maintenant », insiste Lokonon. Selon lui, la demande ne se limitera pas aux six semaines de compétition. Les villes hôtes chercheront à rentabiliser leurs systèmes ensuite, de la gestion de festivals au suivi des supporters durant les championnats nationaux.
Le Maroc a déjà mis la barre haut en annonçant un budget numérique distinct, épaulé par des partenariats public-privé. Un signal que pourrait suivre la République du Congo pour ses propres événements, tel le Marathon de Brazzaville ou les Jeux de la Francophonie à venir.
Vers une nouvelle ère pour les grands tournois
Adjibade rappelle que la CAN 2025 servira de répétition générale avant la Coupe du Monde 2030, que le Maroc coorganisera avec l’Espagne et le Portugal. Les standards imposés par la FIFA pousseront le tournoi continental vers plus d’exigence technologique, au bénéfice des supporters africains.
Dans les années 1990, les fans comptaient sur des radios grésillantes pour suivre les matches. Demain, un supporter de Mfilou pourrait recevoir une notification vibrante lui indiquant le meilleur moment pour quitter sa place, éviter la foule et retrouver sa moto-taxi géolocalisée.
Pour que cette vision devienne réalité, les panélistes mettent en garde contre une fracture numérique qui laisserait certains fans sur le bas-côté. La formation des bénévoles et la clarté des interfaces seront aussi cruciales que la fibre optique ou la réalité augmentée.
Nouhaïla Immani insiste enfin sur la responsabilité environnementale. Chaque outil digital doit minimiser sa consommation énergétique, des serveurs au recyclage des écrans géants. « Une technologie intelligente n’a de sens que si elle respecte l’empreinte carbone », affirme la chercheuse, évoquant des panneaux solaires sur le toit des stades.
À dix-huit mois du coup d’envoi, le chronomètre tourne. Les ingénieurs testent déjà les prototypes de billetterie, tandis que les supporters congolais envisagent leur road trip jusqu’à Tanger ou Marrakech. Une chose est sûre : la CAN 2025 promet plus qu’un tournoi, une vitrine digitale made in Africa.
En misant sur les talents du continent, le Maroc forge une passerelle vers l’avenir du sport africain. Et pour les jeunes créatifs de Brazzaville, l’histoire offre un rappel : la prochaine révolution peut naître d’un smartphone, d’une bonne idée et d’un match où tout reste à jouer.
