Un déséquilibre structurel révélé par la conjoncture mondiale
Depuis plusieurs mois, les files d’attente devant les stations-service de Pointe-Noire à Ouesso constituent le symptôme le plus visible d’un marché pétrolier local sous tension. Désormais exposé aux aléas du marché international — remontée des cours, raréfaction de navires disponibles, goulots d’étranglement portuaires —, le Congo-Brazzaville voit ressurgir une problématique ancienne : la capacité de son secteur aval à répondre rapidement aux besoins internes. Comme l’a rappelé le ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean Richard Itoua, la Congolaise de raffinage assure environ 60 % de la demande nationale, contraignant le pays à importer le solde à un coût que la structure des prix à la pompe ne couvre pas entièrement. À mesure que ce différentiel s’élargit, il fragilise la trésorerie des distributeurs, favorise les circuits parallèles et pèse sur le quotidien des jeunes actifs dépendants de la mobilité.
Importations massives : 105 jours d’autonomie en ligne de mire
Pour répondre à l’urgence, la Société nationale des pétroles du Congo a lancé un programme intensif d’importations. Les premières cargaisons débarquées fin juin constituent, selon le ministre, « le signal d’un retour progressif à la normale ». L’objectif affiché est clair : constituer 105 jours d’autonomie pour le super carburant et 70 pour le gasoil, seuil inédit ces dernières années. Dans le langage discret des logisticiens, cette manœuvre s’apparente à un pont maritime continu, ponctué tous les dix jours par l’accostage d’un tanker dédié. Les opérateurs privés saluent la cadence, notant qu’elle réduit la tentation de spéculation autour des volumes disponibles.
Le maillon logistique ferroviaire remis sur les rails
Une cargaison arrivée au port n’a de valeur pour le consommateur que si elle atteint les cuves intérieures. C’est là qu’intervient le Chemin de fer Congo-Océan, pivot depuis près d’un siècle entre la façade atlantique et le cœur administratif de Brazzaville. Les autorités ont renforcé la maintenance du matériel roulant et alloué des créneaux ferroviaires réservés aux produits pétroliers. Les acteurs du fret indiquent que ces créneaux, conjugués à un suivi satellitaire des wagons-citernes, limitent les arrêts non planifiés et compressent les délais de transit. À l’échelle microéconomique, la fluidité du rail rassure les transporteurs routiers, dont nombre de jeunes entrepreneurs œuvrent dans le segment du dernier kilomètre, notamment pour la livraison de carburant aux chantiers BTP.
Constituer des stocks de sécurité : trois niveaux, un même impératif
Le gouvernement entend capitaliser sur la séquence actuelle pour installer une culture du stockage préventif. Trois catégories sont évoquées : stocks stratégiques, stocks de sécurité commerciale et stocks clients. Ensemble, ils devraient couvrir au minimum deux mois de consommation nationale. Une telle ambition suppose un financement pérenne, mais aussi un cadre de gouvernance clarifié. À cet égard, le ministère travaille à un nouveau modèle économique pour le downstream, inspiré d’expériences régionales réussies tout en conservant les spécificités congolaises. Des opérateurs consultés se disent favorables à un fonds dédié, alimenté par une redevance minimale, de façon à mutualiser le coût du stockage tout en le rendant insensible aux cycles politiques.
L’oléoduc Pointe-Noire–Brazzaville : colonne vertébrale du futur réseau
Par-delà l’urgence, l’exécutif mise sur un chantier qui redessinerait la carte énergétique nationale : un oléoduc de plus de 500 kilomètres reliant le terminal de Djeno à la capitale. Projeté en partenariat avec la Fédération de Russie, l’ouvrage accueillerait trois dépôts totalisant 300 000 mètres cubes, soit le triple de la capacité actuelle de la Société commune de logistique. Les ingénieurs y voient une réponse structurelle au déséquilibre offre-demande. Le calendrier n’a pas été officiellement arrêté, mais une étude d’impact environnemental est en cours, avec un accent particulier sur la préservation des forêts du Mayombe. Pour les jeunes diplômés, ce chantier représente également une perspective d’emplois qualifiés, de la soudure spécialisée à la cybersécurité industrielle.
Maintenir l’accessibilité sans déréguler brutalement les prix
Dans un contexte où le Fonds monétaire international recommande la libéralisation des prix à la pompe, le gouvernement affiche sa prudence. Bruno Itoua a souligné que « le président de la République n’a pas retenu cette option ». Selon plusieurs économistes locaux, geler le prix du litre peut sembler protecteur à court terme, mais il exige de l’État qu’il absorbe la différence avec le cours international. La stratégie actuelle repose donc sur un compromis : réduire le poids des subventions grâce à l’augmentation de la production locale, tout en évitant une hausse qui pénaliserait la jeunesse urbaine, déjà mise à l’épreuve par l’inflation alimentaire.
Vers une culture de la sobriété énergétique et de l’innovation
Au-delà de l’enjeu purement pétrolier, la crise récente sert de piqûre de rappel sur la vulnérabilité d’une économie dépendante du carburant. Des start-up congolaises incitent désormais les particuliers à covoiturer via des applications mobiles et expérimentent des bornes solaires pour vélos électriques à Brazzaville-centre. Si ces initiatives restent marginales, elles dessinent une diversification des solutions qui, conjuguée au plan gouvernemental, pourrait introduire une nouvelle culture énergétique. Comme le résume l’analyste Éric Mabiala, « l’important n’est pas seulement de remplir nos réservoirs, mais de repenser nos usages ». Un message qui résonne particulièrement chez les 20-35 ans, souvent à l’avant-garde des changements de comportement.
Une vigilance citoyenne indispensable pour pérenniser les acquis
La sortie de crise annoncée passera aussi par la capacité de la société civile à suivre la mise en œuvre des annonces. Associations de consommateurs, syndicats de transporteurs et ONG environnementales disposent d’outils numériques pour signaler les ruptures de stock ou les hausses non autorisées. Ce dialogue, suffisamment apaisé pour demeurer constructif, s’aligne sur la volonté affichée par les pouvoirs publics de renforcer la transparence. Les jeunes générations, familiarisées avec les plateformes collaboratives, sont ainsi invitées à devenir des sentinelles du marché, gage d’une stabilité qui profitera tant à l’économie qu’au climat des affaires.