Une assurance régionale encore mal connue
À Brazzaville, la plupart des conducteurs brandissent une attestation d’assurance classique sans savoir qu’un second document, la carte rose Cemac, conditionne pourtant leur liberté de rouler de Libreville à Yaoundé.
Obligatoire depuis 2000, la carte rose est le fruit d’un accord signé quatre ans plus tôt par les chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, avec l’ambition d’harmoniser l’assurance responsabilité civile dans la sous-région.
En pratique, ce carton rose pallie les tracasseries subies par les victimes d’accidents et par les automobilistes congolais à l’étranger, mais son efficacité dépend d’un élément clé : la reconnaissance immédiate par les forces de l’ordre et les assureurs locaux.
Pourquoi la carte rose peine à convaincre
Vingt-quatre ans après son lancement, la carte rose demeure un objet administratif mystérieux pour nombre de jeunes conducteurs brazzavillois, faute de campagnes de communication ciblées et de formation continue au sein des postes de police routière.
Les assureurs, concentrés sur la concurrence tarifaire locale, n’intègrent pas toujours les frais liés au bureau national de la carte rose dans leurs argumentaires commerciaux, laissant l’impression que le document est optionnel.
Conséquence directe, les agents de contrôle routier, peu familiarisés avec la procédure d’indemnisation inter-États, préfèrent se fier à l’attestation classique et considèrent tout accident transfrontière comme un casse-tête administratif.
Robert André Elenga dynamise la sensibilisation
Face à ce déficit d’information, Robert André Elenga, secrétaire permanent du bureau pays, a installé son équipe dans une rue passante de Moungali avec des banderoles simples, des QR codes et un slogan direct : « Ta sécurité ne s’arrête pas à la frontière. ».
Il explique que chaque police d’assurance émise au Congo contient déjà le coût de la carte rose, et que son absence lors d’un contrôle peut retarder le remboursement d’une victime au Cameroun ou en Guinée équatoriale.
L’initiative actuelle repose sur des sessions interactives dans les agences de voyage, où de jeunes animateurs démontrent l’application mobile « Cemac Crash Report », conçue pour signaler un sinistre transfrontalier en moins de trois minutes.
Selon les chiffres internes du Conseil des bureaux, la proportion de véhicules congolais circulant en règle dans la sous-région est passée de 18 % en 2019 à 31 % début 2024, progrès salué comme un pas concret vers la libre circulation des biens.
Des bénéfices tangibles pour les conducteurs
Pour un chauffeur de taxi collectif reliant Brazzaville à Kinshasa, la carte rose évite d’avancer des dollars souvenirs aux postes frontière et garantit la prise en charge des dommages corporels d’un passager dès sa constatation par la police de la RDC.
Les étudiants qui traversent la route de Franceville pour rejoindre des stages à Libreville bénéficient d’une protection similaire, réduisant ainsi le stress financier et psychologique lié à un éventuel accrochage.
À l’échelle macro-économique, l’assurance transfrontalière fluidifie le commerce routier des produits agricoles, argument stratégique mis en avant par le ministère des Finances en vue de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Mireille Mavouenzela, juriste spécialisée dans la réparation du préjudice corporel, confirme que « la carte rose oblige les assureurs à respecter des délais stricts, souvent quarante-cinq jours, ce qui évite aux familles de patienter des années avant d’être indemnisées ».
Blocages techniques et solutions envisagées
Les retards de transmission des dossiers entre bureaux nationaux représentent encore le talon d’Achille du système, en partie à cause de connexions Internet fluctuantes dans certaines capitales de la Cemac.
Pour accélérer le processus, le Conseil des bureaux teste depuis février un serveur cloud hébergé à Douala, censé réduire le temps de circulation d’un constat d’accident numérique à moins de douze heures.
Le financement durable de cette infrastructure reste néanmoins suspendu à la contribution régulière des compagnies d’assurance locales, invitées à verser 1 % de leur chiffre d’affaires automobile au fonds sous-régional.
Jeunesse congolaise, moteur du changement
À l’université Marien-Ngouabi, un club nouvellement créé projette des vidéos d’accidents simulés et explique comment scanner le code de la carte pour alerter instantanément le bureau national d’un autre pays.
Les membres affirment vouloir briser l’idée selon laquelle la paperasserie est un obstacle à la mobilité, en transformant la carte rose en symbole de solidarité régionale pour une génération hyperconnectée.
Pour Robert André Elenga, le pari sera gagné lorsque chaque selfie de road-trip posté sur les réseaux sociaux congolais s’accompagnera du hashtag #CarteRoseReady, signe que la prévention peut aussi être virale.
Vers une dématérialisation complète
Au prochain sommet des ministres des Transports de la Cemac prévu à Malabo, un projet de conversion de la carte rose au format entièrement numérique sera présenté, avec une puce NFC et une base de données partagée accessible aux douanes.
Les experts estiment que cette évolution, couplée à l’adoption croissante des paiements mobiles, pourrait réduire de 60 % les litiges transfrontaliers d’ici 2026 et créer de nouveaux emplois spécialisés en cybersécurité dans les capitales de la sous-région.
D’ores et déjà, plusieurs start-up congolaises planchent sur des solutions de géolocalisation intégrées à la carte rose.
