Au cœur du groove congolais
Au cœur de Brazzaville, le nom de Célestin « Celio » Kouka évoque des riffs de guitare fiévreux, des nuits de danse et une élégance jamais démentie. Cofondateur d’OK Jazz puis des Bantous de la capitale, il a sculpté l’ADN sonore du Congo moderne.
Son parcours, jalonné de succès fulgurants et de ruptures spectaculaires, reflète les mutations sociales, politiques et culturelles qui ont animé le pays de l’indépendance à la mondialisation. Pour la génération connectée d’aujourd’hui, comprendre cet itinéraire, c’est remonter aux racines d’un beat devenu patrimoine.
L’éveil d’une étoile après 1960
Né en 1935 à Brazzaville, Celio grandit dans les ruelles peu éclairées de Poto-Poto où les phonos grésillants diffusaient des rythmes cubains et du jazz new-orleans. Aux lendemains de l’indépendance, il cofonde OK Jazz, laboratoire où se mêlent rumba, brass et chants en lingala.
Les témoignages d’anciens mélomanes décrivent un artiste déjà soucieux d’image. « Il arrivait vêtu de costumes impeccables, sourire plein phare », se rappelle l’ingénieur du son retraité Jean-Marie Mavoungou. Cette aura facilitera, en 1959, la naissance des Bantous de la capitale aux côtés de Rochereau et Essous.
Gloire et rivalités sur scène
Au cours des années 1970, la bande magnétique tourne à plein régime. Disques pressés à Paris, tournées régionales et passages radiophoniques propulsent Celio parmi les voix les plus rentables du continent. Pourtant, l’entente artistique se fissure à mesure que les ego se frottent aux réalités commerciales.
En 1977, il fonde, avec Pamelo Mounk’a et Kosmos Moutouari, l’orchestre Le Peuple. L’idée est ambitieuse : démocratiser la rumba par des textes quotidiens, croiser guitare mi-rock et cuivre makossa. L’arrivée du crooner Edo Ganga augure un virage encore plus populaire.
Les ventes suivent, mais les tensions internes aussi. Pamelo rejoint à nouveau les Bantous en 1978, Kosmos se lance en solo avec l’album Tabali, produit par le guitar hero Samy Masamba et rapidement écoulé dans les kiosques de Kinshasa comme de Pointe-Noire.
Crépuscule d’un collectif
Celio tente de boucher les brèches en recrutant de jeunes talents, mais le navire bat pavillon orage. La persistance des conflits finit par dissoudre Le Peuple à la fin des années 1980, laissant derrière lui une discographie courte, généreuse et très recherchée par les diggers.
Les archives sonores du Centre culturel français de Brazzaville montrent des répétitions brûlantes datant de 1985 : guitares interplay, percussions fiévreuses, voix en harmonie serrée. Pour les ethnomusicologues, ces bandes illustrent une volonté de syncrétisme rarement égalée dans la rumba congolaise.
Retours, tentatives et fidélités
En 1987, Celio signe un retour fulgurant chez les Bantous. L’essai reste de courte durée ; il préfère créer Bantous Monument en 1990 avec Essous et Mpassi Mermans. L’aventure s’arrête faute de financements alors que les studios analogiques ferment les uns après les autres.
L’an 2000 voit le chanteur répondre aux appels nostalgiques des fans : tentative de résurrection de l’orchestre Le Peuple, soutenue par le notaire mélomane Me Louboula. Le projet n’aboutit pas, mais catalyse une réédition vinyle de plusieurs classiques, vite adoptée par la diaspora.
En 2004, il rentre définitivement aux Bantous. Deux tournées européennes et une date symbolique à l’Olympia ravivent l’engouement. « Il chantait malgré la fatigue, martelant le micro de son sourire », décrit la productrice parisienne Marie-Chantal Banza, alors en charge de la logistique.
Hommage national et adieu public
Affaibli par la maladie, Célestin Kouka s’éteint le 20 août 2016 au CHU de Brazzaville. Le Palais des congrès accueille une veillée haute en couleurs : drapeaux, tenues d’apparat, délégation d’artistes venus de Kinshasa, notamment Verckys Kiamuangana et Lutumba Simaro.
Au nom du gouvernement, le ministre Henry Djombo élève l’artiste au rang d’officier de l’ordre du Mérite congolais. Léonidas Mottom Mamoni rappelle un « talent qui a traversé les générations ». Les jeunes présents partagent en direct sur les réseaux, preuve que la rumba conserve son pouvoir fédérateur.
Une discographie pour playlist moderne
Plus de quatre-vingts titres composent le catalogue de Celio : Georgina wa Bolingo, Comité Bantous, Rosalie Diop ou Caprices. Spotify et Deezer hébergent aujourd’hui plusieurs remasters, tandis que des DJs de Lagos à Bruxelles glissent Vévé na linga dans leurs sets afro-house.
Pour Diane Ngoma, programmatrice à la radio publique, « la modernité n’annule pas l’héritage ; elle l’échantillonne ». Elle note une hausse des requêtes Shazam lors des soirées étudiantes, signe d’un intérêt renouvelé. Les labels congolais envisagent ainsi de numériser le reste du répertoire pour TikTok.
Pourquoi son parcours parle encore
Celio incarne un Congo créatif capable de se réinventer tout en gardant ses repères. Sa trajectoire rappelle aux jeunes qu’un projet collectif exige compétence artistique, gestion d’équipe et vision de long terme. Les départs de Pamelo ou Kosmos illustrent l’importance du dialogue dans tout business culturel.
Entre nostalgie vinyle et streaming haute définition, la route musicale ouverte par Célestin Kouka continue d’élargir la bande-son congolaise. Elle offre aux créateurs actuels un miroir où évaluer leur pertinence, et aux décideurs culturels un cas d’école sur la durabilité des investissements artistiques.