Jeunes congolais, chômage et opportunités vertes
Dans les ruelles sablonneuses de Talangaï, la clameur des pousse-pousse annonçant « La voirie » résonne plus fort que le vrombissement des taxi-motos. Pour de nombreux jeunes, ce refrain marque désormais le début d’une journée de travail légale, salubre et rémunératrice.
La pré-collecte des ordures, encore informelle il y a dix ans, s’est muée en filet d’insertion professionnelle. Facturé 100 à 200 francs CFA par foyer, ce service répond à une demande urgente tout en offrant des perspectives d’emploi durables.
Selon la Direction générale de l’environnement urbain, Brazzaville génère presque une tonne de déchets chaque minute. Les sociétés conventionnelles, freinées par des ruelles étroites, peinent à suivre. Les jeunes pré-collecteurs comblent ce vide en sillonnant les impasses inaccessibles aux camions.
La pré-collecte, nouveau souffle économique
« Depuis que je pousse la brouette, je paie mon loyer et même la connexion internet », sourit Armel, 25 ans, rencontré à Moungali. Son témoignage illustre l’attractivité d’une activité qui ne requiert ni diplôme élevé ni capital lourd, seulement de la volonté.
Le chômage touche environ un tiers des 18-35 ans, d’après les dernières estimations de l’Institut national de la statistique. En transformant un problème environnemental en opportunité économique, la pré-collecte montre qu’il existe des niches d’emplois capables de réduire la pression sociale sur la jeunesse.
L’économie circulaire demeure l’un des axes stratégiques du Plan national de développement 2022-2026. À ce titre, les autorités exhortent les communes à soutenir les micro-entreprises de collecte en leur facilitant l’acquisition d’équipements de protection et l’accès aux points de dépôt agréés.
Organisation et rentabilité du modèle
Sur le terrain, plusieurs groupes s’organisent déjà en coopératives. Ils mutualisent les brouettes, négocient les tarifs d’essence pour les tricycles et tiennent une comptabilité simplifiée afin de présenter des bilans bancables. Cette structuration progressive crédibilise le secteur auprès des institutions financières locales.
Le modèle économique repose sur des abonnements réguliers. Un pré-collecteur gère environ 80 concessions par semaine. À 100 francs l’enlèvement, le chiffre d’affaires mensuel approche 320 000 francs, un revenu déjà au-dessus du salaire minimum garanti.
Ces gains, même modestes, alimentent la consommation dans les quartiers populaires, stimulant petits commerces et services mobiles d’argent. L’impact multiplicateur conforte l’idée que l’assainissement peut devenir un moteur de croissance inclusive, surtout dans une ville qui comptera bientôt deux millions d’habitants.
Bénéfices sanitaires et environnement urbain
Sur le plan sanitaire, la diminution des dépotoirs sauvages s’accompagne d’une baisse des cas de paludisme et de diarrhées, affirment les médecins du centre intégré de Makélékélé. La propreté rehausse également l’image touristique de la capitale, atout non négligeable pour la diversification économique.
La société turque Albayrak assure aujourd’hui la collecte secondaire et la mise en décharge contrôlée. Ses responsables voient d’un bon œil la montée des pré-collecteurs, considérés comme « un maillon complémentaire de la chaîne ». Cette coopération réduit les coûts tout en renforçant la couverture.
Cependant, les défis restent nombreux : formalisation juridique, accès au crédit, formation à la sécurité et disponibilité de centres de tri. Le ministère en charge de l’Aménagement s’apprête à lancer un guide de bonnes pratiques pour accompagner la professionnalisation du secteur.
Vers une filière structurée et durable
L’Université Marien-Ngouabi étudie aussi la possibilité d’introduire un module de gestion des déchets urbains dans les filières techniques. L’objectif est de doter les jeunes d’outils de planification, de suivi statistique et d’innovation, notamment autour du tri et de la transformation des matières recyclables.
Des start-up locales explorent déjà la valorisation du plastique collecté. À Mpila, l’atelier Ngalamo fabrique des pavés issus de déchets broyés. Chaque tonne transformée épargne aux rivières des milliers de sachets et procure six emplois directs, soulignent les promoteurs.
Pour la population, l’abonnement demeure accessible. Rose, mère de quatre enfants, paie 600 francs par mois pour trois levées hebdomadaires. « Ma cour n’a jamais été aussi propre », confie-t-elle, estimant que la somme équivaut à deux pains et « vaut largement la tranquillité ».
À l’échelle nationale, la Banque africaine de développement évalue à 5 000 le nombre d’emplois potentiels liés à la seule pré-collecte dans les cinq prochaines années. Un chiffre qui pourrait doubler si des filières de tri et de compostage se structurent.
En conciliant gain économique, salubrité urbaine et responsabilité écologique, la pré-collecte d’ordures offre un symbole d’ingéniosité congolaise. Soutenue par un encadrement progressif, cette activité simple pourrait devenir l’un des piliers de la croissance verte et de l’inclusion sociale à Brazzaville.