Un patrimoine industriel à l’épreuve du temps
À la faveur d’une visite de terrain effectuée le 5 juillet 2025, le ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public, Christian Yoka, a arpenté les quais silencieux de la gare de Dolisie avant de déclarer que « l’État ne peut se résoudre à voir s’éteindre le CFCO ». Cette phrase résonne comme le prélude d’un chantier d’envergure pour une infrastructure inaugurée en 1934 et qui, depuis plusieurs décennies, voit son image quelque peu ternie par le manque d’investissements lourds. Aux traverses disjointes et locomotives hors d’usage répond pourtant une dimension patrimoniale forte : le CFCO relie la façade atlantique à l’hinterland, symbolisant l’unité logistique du pays.
L’urgence ferroviaire au cœur de la stratégie budgétaire
Les projections officielles laissent entrevoir une mobilisation de ressources multiformes afin de conjuguer modernisation technique et viabilité financière. Le ministre a rappelé que depuis dix ans, l’État a déjà consenti plusieurs injections de trésorerie pour éponger salaires et dettes court terme, sans toutefois enrayer la spirale déficitaire. Aujourd’hui, l’option privilégiée consiste en une restructuration d’urgence articulée autour d’un audit exhaustif, d’une priorisation des tronçons et d’un plan de recapitalisation. « Il faut aller vite, mais il faut surtout aller juste », a insisté Christian Yoka face aux cheminots réunis dans l’atelier mécanique de Pointe-Noire.
Cheminots, dettes et trésorerie : radiographie d’une crise
Le directeur général du CFCO, Ignace Nganga, dresse un constat sans ambages : plus de quarante-deux mois d’arriérés de salaires, un parc de locomotives quasi inexistant, des systèmes de télécommunication hors service et des pertes cumulées supérieures à 72 milliards FCFA. La trésorerie courante plafonne à 71 millions FCFA, somme dérisoire au regard d’un fonds de roulement négatif, tandis que les dettes fiscales, sociales et commerciales se chiffrent à une soixantaine de millions supplémentaires. Dans ce contexte, le moral des 2 800 cheminots reste suspendu aux négociations tripartites État-direction-partenaires sociaux, lesquelles devraient préciser l’échelonnement des paiements et la sécurisation des emplois.
Les leviers financiers envisagés par Brazzaville
Selon plusieurs sources proches du dossier, trois pistes complémentaires sont actuellement étudiées : une ligne de crédit concessionnelle auprès d’institutions régionales, un appel à des partenaires stratégiques susceptibles d’apporter expertise et matériel roulant, et la valorisation d’actifs fonciers connexes pour générer des revenus extrabudgétaires. Le Trésor public pourrait garantir partiellement l’emprunt initial afin de sécuriser la confiance des bailleurs, tandis qu’un schéma de participation publique-privée encouragerait l’arrivée d’opérateurs spécialisés dans la maintenance de voie et la gestion logistique. L’objectif affiché est de rétablir la circulation fluide sur l’axe Pointe-Noire/Brazzaville à l’horizon 2027, puis de prolonger la modernisation vers Mbinda et Bilinga.
Enjeux socio-économiques pour la jeunesse congolaise
Au-delà des questions strictement comptables, la résurrection du rail revêt un enjeu de cohésion pour la génération des 20-35 ans, majoritaire dans la démographie nationale. Les universités techniques de Brazzaville et de Pointe-Noire inscrivent déjà des modules de génie ferroviaire afin d’aligner la formation locale sur les besoins futurs. « Un réseau performant ouvrira un champ d’opportunités inédit, qu’il s’agisse d’emplois directs de conduite ou de filières dérivées comme la logistique ou le tourisme intérieur », souligne Mylène Bouity, économiste au Centre d’études prospectives. La réduction des coûts de transport des produits agricoles depuis les plateaux batéké jusqu’aux terminaux portuaires pourrait également stimuler l’entrepreneuriat rural et, partant, contribuer aux objectifs nationaux de sécurité alimentaire.
Perspectives de relance et rôle du secteur privé
Le ministère table sur une montée en puissance graduelle, privilégiant d’abord la fiabilité avant la vitesse commerciale. La candidature de constructeurs africains et asiatiques pour la fourniture de locomotives hybrides, moins gourmandes en carburant, témoigne d’une volonté de conjuguer soutenabilité et performance. Par ailleurs, la digitalisation des titres de transport figure au cahier des charges afin de séduire une clientèle jeune adepte du paiement mobile. Le gouvernement espère ainsi transformer le CFCO en pôle d’innovation logistique, tout en affirmant la souveraineté infrastructurelle du Congo-Brazzaville face aux exigences croissantes du commerce régional.
Si le défi paraît colossal, nombre d’observateurs rappellent que le projet s’inscrit dans la dynamique plus large de diversification économique impulsée par le président Denis Sassou Nguesso. Dans un contexte où l’économie mondiale se reconfigure, la viabilité d’un corridor ferroviaire interne constitue un atout compétitif : connectivité accrue pour les opérateurs industriels, réduction de l’empreinte carbone et facilitation des échanges avec les pays voisins. Autant de paramètres qui justifient le caractère stratégique du plan de sauvetage, lequel, pour être durable, devra conjuguer discipline financière, gouvernance renforcée et implication active du secteur privé.