La ruée vers le champignon urbain
À Brazzaville, derrière un portail discret du quartier Mfilou, de jeunes mains remuent des sacs de sciure ensemencés. Ce geste simple reflète une tendance qui séduit étudiants, journalistes et réfugiés: la production de champignons comestibles hors sol, ou myciculture.
Au-delà de la curiosité, cette activité propose une réponse pragmatique au chômage urbain. Le coût d’entrée limité et la demande locale en protéines végétales ouvrent des perspectives d’autonomisation, sans exiger de grands espaces ni de capital lourd.
La semaine de formation organisée mi-août par le Groupe des journalistes pour la paix et la start-up Mycitech bio-Congo a précisément misé sur cet argument: former pour produire et vendre en moins d’un mois, afin d’engranger les premiers revenus.
Pour la neuvième édition, vingt-cinq apprenants, dont dix professionnels des médias et quinze réfugiés, ont suivi la chaîne complète: pasteurisation du substrat, inoculation, incubation, fructification, récolte et conservation.
Selon Doubou Dieu-Merci, fondateur de Mycitech, «le champignon est un revenu qui pousse pendant que vous dormez; il suffit de maintenir l’humidité». Son unité pilote, active depuis 2022, a déjà formé plus de cent-vingt personnes, confirmant un engouement durable.
Formation inclusive à Brazzaville
Particularité notée par les participants: la mixité. Journalistes congolais et réfugiés venus du Cameroun, du Rwanda ou de la Centrafrique ont manipulé le même matériel, partagé les mêmes pauses et reçu des certificats identiques, preuve d’un apprentissage sans filtre.
Achille Honoré, président de la communauté réfugiée, y voit une illustration concrète de la loi de 2021 sur le droit d’asile, saluant «l’absence totale de discrimination». Pour lui, l’insertion passe aussi par l’entrepreneuriat, vecteur d’estime et de stabilité familiale.
Côté journalistes, la motivation est différente. Entre la baisse des revenus publicitaires et la précarisation des pigistes, diversifier ses sources de revenu devient un acte presque militant. «Un tournage le matin, la récolte l’après-midi, c’est compatible», résume la reporter radio Mireille Makita.
La myciculture, un pari accessible
Le principal atout économique réside dans les coûts maîtrisés. Un kit débutant – bacs plastiques, semence, paille ou sciure, thermomètre – oscille autour de trente mille francs CFA, loin des investissements exigés par la volaille ou le maraîchage sous serre.
La production, elle, s’étale sur trois semaines. Des rendements de 1,5 kilogramme par kilogramme de substrat sont couramment observés, selon les techniciens agricoles du ministère de la Recherche scientifique, qui accompagnent l’initiative par des analyses de qualité.
Les marchés urbains de Moungali et Total écoulent déjà chaque jour environ cinq cents barquettes de pleurotes, signe d’une demande soutenue par la restauration rapide. L’entrée progressive de la grande distribution pourrait encore faire grimper la courbe.
Enjeux économiques et environnementaux
Sur le plan macroéconomique, la filière champignon reste marginale au Congo, mais des économistes estiment qu’elle pourrait générer un millier d’emplois directs d’ici cinq ans, si la formation suit et si la logistique de froid s’améliore.
Écologiquement, la myciculture valorise des sous-produits agricoles comme la balle de riz ou la sciure, réduisant la pression sur les décharges. Les pleurotes peuvent même dépolluer certains substrats riches en hydrocarbures, selon une étude de l’Université Marien-Ngouabi.
Le rendement protéique attire aussi l’attention des nutritionnistes, en quête de solutions locales à la malnutrition. Quarante-cinq grammes de protéines pour cent grammes de matière sèche placent le champignon au niveau du poisson, tout en restant exempt de cholestérol.
Cependant, les défis logistiques subsistent: emballage adapté, chambres froides et certification sanitaire rigoureuse. Le ministère du Commerce prépare un guide de bonnes pratiques, tandis que l’Agence de normalisation projette de publier une norme spécifique.
Témoignages et prochaines étapes
À la remise des certificats, Nathalie-Christine Foundou a rappelé que neuf participants sur dix l’an dernier ont maintenu leur production après six mois. «Ce n’est pas un effet d’annonce; ceux qui persévèrent voient leur chiffre d’affaires doubler chaque trimestre», a-t-elle souligné.
Jean-Paul Mabiala, ancien stagiaire devenu fournisseur pour trois restaurants de Poto-Poto, affirme dégager cent cinquante mille francs CFA par mois, soit davantage que son ancien revenu de pigiste sportif. Il prévoit d’automatiser l’arrosage grâce à un kit solaire localement assemblé.
La prochaine cohorte, annoncée pour novembre, intégrera un module digital: suivi hygrométrique via capteurs et vente directe sur les réseaux sociaux. Objectif avoué des organisateurs: connecter la tradition agricole aux outils 4G qui dominent le quotidien des jeunes Congolais.
Pour l’heure, le petit laboratoire de Mfilou bourdonne déjà de nouvelles commandes. Entre sacs de substrat empilés et ventilateurs artisanaux, les apprentis myciculteurs voient éclore un projet qui conjugue économie solidaire, écoresponsabilité et fierté d’initiative locale.
De l’avis des économistes interrogés, le passage à l’échelle passera par des coopératives capables de mutualiser achats de substrat et chambres froides. Un projet pilote, soutenu par l’Agence nationale de développement de l’entrepreneuriat, devrait voir le jour début 2026 à Dolisie. Les banques locales étudient des mécanismes de microcrédit adaptés.
