Une qualification arrachée sur le terrain… judiciaire
Il est des victoires qui ne se célèbrent pas dans la clameur des stades mais dans la solennité feutrée des prétoires. La participation des Diables rouges locaux à la huitième édition du Championnat d’Afrique des nations, du 2 au 30 août en Tanzanie, au Kenya et en Ouganda, relève de cette veine singulière. Disqualifié dans un premier temps au profit de la Guinée équatoriale, le Congo a dû enclencher, sous l’égide de la Fédération congolaise de football, une procédure d’urgence devant les instances juridictionnelles de la Confédération africaine. La sentence, favorable, a rétabli la sélection dans ses droits, au prix de frais et d’énergie rarement mobilisés pour un pays déjà éprouvé par huit mois de suspension de toutes compétitions internationales (Communiqué Fecofoot, 28 juillet 2024).
À l’heure où l’on croyait la page tournée, la fédération se retrouve de nouveau placée à l’avant-scène, non plus pour défendre des points sur tapis vert, mais pour rappeler qu’aucun membre de son comité exécutif ne prendra part, dans la délégation officielle, à ce tournoi censé symboliser la renaissance du football national.
Entre protocole ministériel et realpolitik sportive
Dans un communiqué succinct mais incisif, l’instance dirigeante du football a regretté que les noms proposés pour accompagner les joueurs n’aient pas été retenus par le ministère en charge des Sports. Le non-alignement des agendas institutionnels n’est pas rare dans la sphère sportive ; il devient toutefois plus visible lorsqu’une compétition continentale projette l’image d’un pays bien au-delà de ses frontières. L’autorité ministérielle, soucieuse de composer une délégation resserrée et représentative, a privilégié, explique-t-elle en privé, des profils répondant à des exigences budgétaires et logistiques strictes. La Fecofoot, de son côté, estime légitime que l’équipe dirigeante ayant conduit le contentieux victorieux se trouve physiquement aux côtés des joueurs, ne serait-ce que pour assumer la continuité symbolique du service public sportif.
Les observateurs notent que la question dépasse le simple choix de noms. Elle illustre la tension classique entre l’autonomie associative reconnue aux fédérations et la tutelle républicaine conférée aux ministères techniques, chacun revendiquant un rôle de garant de l’intérêt général. En coulisse, certains acteurs rappellent que cette dialectique n’entrave pas nécessairement la performance. L’essentiel réside, assurent-ils, dans la sérénité offerte aux joueurs et au staff technique, prioritairement concentrés sur la préparation d’un groupe rajeuni et ambitieux, auréolé du succès récent des clubs congolais dans les compétitions zonales.
Les enjeux symboliques de la présence institutionnelle
Être représenté, c’est exister, entend-on souvent dans les amphithéâtres de diplomatie sportive. La non-prise en compte des représentants fédéraux peut être interprétée comme une occasion manquée de faire front commun à l’heure de la relance. Pourtant, plusieurs responsables contactés relativisent l’impact immédiat de cette absence. Dans la configuration multisite du Chan 2024, la majeure partie des décisions opérationnelles relève de la Confédération africaine, tandis que les questions d’intendance sont déléguées aux comités locaux. La présence d’un officiel fédéral n’y change guère le déroulé logistique, plaide un conseiller technique.
Sur le plan symbolique, en revanche, la visibilité est un capital politique. En résonance avec l’esprit de l’« année de la jeunesse » décrétée par les autorités, de nombreux internautes espéraient voir le président de la Fecofoot ou l’un de ses vice-présidents aux côtés des joueurs afin de témoigner d’un message d’unité. Plusieurs joueurs confient qu’ils restent concentrés sur le terrain, tout en reconnaissant qu’une photographie institutionnelle partagée aurait puissamment illustré la page tournée après la suspension de la FIFA.
Relance du football congolais : cap sur la jeunesse et l’unité
La divergence ponctuelle entre le ministère et la fédération ne saurait occulter la tendance lourde vers laquelle convergent les stratégies officielles : la consolidation des compétitions de base, la professionnalisation de l’encadrement et l’émergence d’une économie du sport capable d’offrir des carrières solides aux jeunes. Dès septembre, la fédération prévoit de relancer la Ligue 1 en formule compacte, tandis que la Direction générale des Sports finalise un programme national d’infrastructures de proximité destiné aux quartiers périphériques de Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie.
Les Diables rouges version Chan constituent, de fait, la vitrine la plus visible de ce chantier. Leur performance sera scrutée comme un baromètre de la cohérence des réformes. Qu’ils franchissent ou non la phase de groupes, l’important sera de démontrer qu’un football apaisé, aligné sur les meilleures pratiques, peut contribuer à la cohésion nationale. Interrogé sur l’absence de tutelle fédérale à Dar es-Salaam, le sélectionneur national s’est voulu philosophe : « Le ballon, lui, ne connaît ni les chaises protocolaires ni les virgules des communiqués. Il roule pour qui joue juste. »
Au-delà de la formule, le rendez-vous tanzanien offre au football congolais l’occasion d’articuler ses ambitions sportives avec le vivre-ensemble cher aux autorités. La fenêtre médiatique qu’ouvrira le Chan 2024 sera, espérons-le, le prélude à une saison 2024-2025 plus dense, plus inclusive et plus prospère pour toute une génération qui n’attend qu’un signal pour croire, enfin, que le football peut redevenir un horizon partagé.