Un diagnostic posé dans un contexte régional tendu
Le 26 juillet 2025, le ministère de la Santé et de la Population proclamait l’état d’épidémie de choléra, trois jours après la confirmation par le Laboratoire national de santé publique de deux prélèvements positifs. La chronologie, qui remonte au premier cas détecté le 23 juin sur l’île Mbamou, paraît brève, mais elle s’inscrit dans une conjoncture régionale déjà chargée. Les provinces angolaises du Kabinda et les districts congolais frontaliers de la République démocratique du Congo font face, depuis le début de l’année, à des flambées récurrentes de vibrio cholerae. Aux yeux des épidémiologistes de Brazzaville, cette coïncidence géographique accroît les flux transfrontaliers à risque et complique le traçage des cas index.
Si le terme « maladie des mains sales » résonne comme une métaphore didactique, la menace est, elle, bien tangible : 187 cas et 21 décès étaient recensés dans le rapport de situation publié le 28 juillet. Un ratio de létalité de 11,2 % rappelle la mortalité foudroyante de la bactérie en l’absence de prise en charge immédiate.
Les premières heures de la riposte gouvernementale
Sitôt l’alerte nationale déclenchée, une cellule de coordination technique, présidée par le professeur Jean-Rosaire Ibara, a fédéré médecins, logisticiens et partenaires internationaux. Au siège du Centre des opérations d’urgence de santé publique, les décideurs ont élaboré un plan d’action articulé autour de la surveillance épidémiologique, de la prise en charge gratuite des malades et de la communication de crise. « Notre priorité est de couper les chaînes de transmission avant la saison des pluies », a résumé le ministre lors d’un point presse, insistant sur la distribution préventive de chlorure de sodium oral et sur le réapprovisionnement des centres de santé en sels de réhydratation.
Le budget d’urgence, évalué à 2,3 milliards de francs CFA, mobilise des fonds publics, mais aussi l’appui de l’OMS et de l’UNICEF. Les premières cargaisons d’antibiotiques de première ligne, de kits d’analyse rapide et de pastilles de potabilisation d’eau ont été acheminées en pirogue motorisée vers l’île Mbamou, épicentre toujours accessible quasi exclusivement par voie fluviale.
Les réalités sanitaires sur le terrain
Sur les rives sableuses du district de l’Île Mbamou, le docteur Grâce Ngoma, coordinatrice des soins d’urgence, observe que « la topographie insulaire complique la réhydratation intraveineuse continue faute d’électricité stable pour la chaîne du froid ». Dans les postes de santé improvisés, les infirmiers jonglent entre la prise en charge des cas graves et les séances d’éducation sanitaire. Malgré ces contraintes logistiques, le délai moyen entre l’apparition des symptômes et la consultation a été réduit à 18 heures, une performance saluée par les observateurs de Médecins d’Afrique.
À Gamboma comme à Mossaka-Loukoléla, les alertes de cas suspects ont été gérées selon le principe « tester-isoler-traiter ». Aucun foyer secondaire n’a, à ce stade, dépassé le seuil de trois cas confirmés, indicateur jugé encourageant par la Direction générale de l’épidémiologie.
Mobilisation communautaire et innovations préventives
Au-delà de l’arsenal médical, la bataille se joue dans les pratiques quotidiennes. Des animateurs communautaires, recrutés par l’ONG locale Jeunes-Santé, sillonnent les écoles et marchés pour vulgariser le lavage des mains, la cuisson prolongée des repas et l’usage de latrines. Les autorités coutumières, consultées dans un esprit de concertation, relaient les messages de prévention dans les langues nationales, réduisant la résistance socioculturelle souvent rencontrée lors des interventions d’urgence.
Parallèlement, la start-up congolaise WaterClean a déployé, en partenariat public-privé, cinq stations solaires de purification d’eau dotées de filtres céramiques. Chaque unité couvre les besoins journaliers d’environ 1 500 habitants. Cette innovation, saluée par le Programme des Nations unies pour le développement, illustre la synergie possible entre entrepreneuriat local et politiques sanitaires publiques.
Perspectives et responsabilité collective
À l’heure où les indicateurs épidémiologiques donnent encore matière à vigilance, les analystes soulignent que la maîtrise durable du choléra passe par l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement. Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé l’extension, en 2026, du Projet national d’adduction d’eau en milieu rural à quinze nouveaux districts, dont ceux aujourd’hui touchés.
En filigrane, se pose la question de la résilience communautaire. L’épisode de 2025 rappelle celui de 2023, où fièvre typhoïde, shigellose et choléra avaient affecté cinq départements. Mais les leçons d’alors semblent avoir accéléré la réactivité institutionnelle : procédures standardisées, réseaux de laboratoires décentralisés, stocks tampons de solutions de réhydratation et surtout transparence dans la diffusion des données.
Si les chiffres actuels commandent la prudence, ils ouvrent aussi la voie à une mobilisation collective exemplaire. Dans les mots du professeur Ibara, « prévenir le choléra, c’est protéger la promesse de développement et la vitalité de notre jeunesse ». Un mantra que l’île Mbamou, aujourd’hui épicentre, entend transformer en tremplin pour une culture de santé publique renforcée à l’échelle nationale.