Un foyer aux portes de la saison sèche
Le quatrième rapport de situation de l’Organisation mondiale de la Santé, publié début août 2025, situe l’épicentre de la flambée de choléra dans les districts riverains du Kouilou et de la Cuvette. Cent trente-deux cas confirmés et six décès ont été notifiés entre le 20 juillet et le 4 août, soit un taux de létalité de 4,5 %, inférieur à la moyenne régionale observée lors des épisodes de 2017 et 2013. Les premières investigations épidémiologiques attribuent l’extension du foyer à une conjugaison de facteurs hydrologiques – décrue brutale du fleuve qui concentre les effluents contaminés – et de facteurs humains, dont une mobilité marchande accrue vers les foires saisonnières. L’arrivée progressive de la saison sèche, traditionnellement associée à une baisse de l’incidence, est tempérée par l’OMS qui souligne « la persistance de points chauds urbains où la densité démographique alimente la transmission ».
Dans un contexte sous-régional déjà marqué par des alertes similaires en République démocratique du Congo et au Cameroun, les experts du Centre inter-États de prévention des maladies rappellent que « les mouvements transfrontaliers imposent une coordination multisectorielle et interétatique » afin d’éviter la constitution d’un corridor épidémique. Le Congo-Brazzaville fait donc face à un double défi : circonscrire le foyer local tout en participant aux efforts de surveillance concertée le long du Bassin du Congo.
Une mobilisation institutionnelle multisectorielle
Dès les premières notifications, le ministère congolais de la Santé et de la Population a activé le Centre national des opérations d’urgence de santé publique, conformément aux protocoles harmonisés avec l’OMS. Le docteur Gilbert Mokoki, ministre de tutelle, a souligné lors d’un point presse à Brazzaville que « le pays dispose aujourd’hui d’une chaîne logistique renforcée par les leçons tirées de la pandémie de COVID-19, notamment pour l’acheminement des traitements de réhydratation orale et des sels de réhydratation zinc-enrichis ».
Sur le terrain, les autorités déconcentrées ont déployé plus de 250 agents de santé communautaire formés aux alertes rapides et à la désinfection ciblée des puits. Les brigades fluviales assurent une surveillance environnementale quotidienne, prélevant des échantillons d’eau à des points stratégiques. Conjointement, le ministère de l’Intérieur encadre la régulation des marchés improvisés installés sur les berges, tandis que les services de la Communication présidentielle diffusent, en langues nationales, des messages de prévention via la radio rurale. Ce maillage multisectoriel témoigne d’une approche intégrée privilégiant la proximité avec les populations à risque.
Jeunes adultes, acteurs clés de la prévention
La sociologie de l’épidémie met en lumière le rôle pivot des 20-35 ans, tranche d’âge la plus mobile et la plus connectée. Dans les quartiers sud de Pointe-Noire, des étudiants de l’Université Marien-Ngouabi ont lancé, avec l’appui du Programme national Eau et Assainissement, une campagne baptisée « Eau sûre, avenir sûr ». Des stands interactifs expliquent, démonstration à l’appui, comment préparer une solution chlorée domestique à partir de comprimés distribués gratuitement. « Notre crédibilité auprès des pairs est un atout que nous mettons au service de la santé publique », affirme Nadège Mabiala, étudiante en sociologie et coordinatrice du projet.
Le maillage numérique contribue également à amplifier les messages officiels. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #StopCholeraCongo a généré plus de 120 000 interactions en dix jours, d’après une veille menée par l’Agence de régulation des postes et communications électroniques. Les influenceurs culturels relaient des capsules vidéo courtes, tandis que des jeunes entrepreneurs développent des chatbots informatifs en langue kituba. Ces initiatives catalysent une adhésion communautaire souvent difficile à atteindre par les canaux institutionnels classiques.
Des innovations locales pour briser les chaînes de transmission
Si le protocole thérapeutique repose sur des réhydratations soutenues et un traitement antibiotique ciblé, la lutte contre le choléra se joue avant tout sur le terrain de la prévention. Dans ce domaine, plusieurs solutions endogènes se démarquent. À Dolisie, la start-up GreenDrop convertit les coques de noix de palme en bio-charbon doté de propriétés filtrantes, fourni aux familles pour potabiliser l’eau des rivières. Soutenue par le Fonds d’aide à l’innovation, l’entreprise produit déjà trois cents filtres par semaine et prévoit de tripler sa capacité avant octobre.
Parallèlement, les laboratoires de l’Institut national de recherche en sciences de la santé testent un système d’alerte géolocalisée fondé sur la téléphonie mobile. Chaque fois qu’un centre de santé enregistre un cas suspect, un message SMS est envoyé aux ménages résidant dans un rayon de deux kilomètres pour rappeler les mesures d’hygiène. Selon le docteur Ali Goma, épidémiologiste, « le délai moyen entre le signalement et la diffusion des consignes est passé de douze à quatre heures, ce qui réduit considérablement la fenêtre de contagion ».
Perspectives épidémiologiques et dynamiques régionales
Les courbes modélisées par le Groupe d’analyse épidémique de Brazzaville anticipent un pic d’incidence mi-septembre, suivi d’une décrue si les indicateurs de chloration de l’eau restent au-delà du seuil de 0,5 mg par litre. La livraison prochaine de cent mille doses de vaccins anticholériques oraux, obtenues grâce à la réserve mondiale gérée par Gavi, constitue un filet de sécurité supplémentaire pour les zones à forte densité.
Sur le plan diplomatique, le Congo-Brazzaville a proposé d’accueillir, en octobre, un sommet régional sur l’assainissement et la sécurité hydrique. Cette initiative, saluée par l’Union africaine, pourrait déboucher sur un fonds commun de résilience destiné aux pays du Bassin du Congo. En attendant, la vigilance communautaire demeure le premier rempart. « Chaque geste de lavage de mains est un acte citoyen qui protège le voisinage », rappelle le ministre Gilbert Mokoki. Dans l’équation épidémiologique de 2025, l’engagement individuel, en particulier celui des jeunes adultes, apparaît donc comme la variable décisive pour transformer la résilience en victoire durable.