Bras de fer budgétaire entre centres urbains et pouvoir central
Dans un amphithéâtre feutré du ministère de l’intérieur, les mots « autonomie financière » ont résonné comme un leitmotiv. Brazzaville et Pointe-Noire, poumons économiques du pays, peinent encore à répondre seules aux besoins élémentaires de leurs 4,5 millions d’habitants. Selon les chiffres consolidés par le Trésor public, près de 80 % des budgets municipaux proviennent toujours de subventions de l’État. Cette dépendance, héritée de décennies de centralisation, maintient les mairies dans un état de quasi-tutelle administrative, limitant leur marge de manœuvre pour investir dans les transports urbains, la gestion des déchets ou la rénovation des marchés populaires.
Le diagnostic sans complaisance de la Banque mondiale
Le rapport présenté par Ousmane Bachir Deme, spécialiste principal de gouvernance, dresse un constat sobre : répertoires fiscaux incomplets, faible digitalisation des procédures et absence de contrôle a posteriori. « Nous avons identifié des pertes de recettes pouvant atteindre 40 % dans certains arrondissements », a-t-il précisé en s’appuyant sur des enquêtes de terrain menées depuis 2022 (Banque mondiale, 2024). L’institution recommande la mise en place d’un cadastre numérique, la révision des bases imposables sur la propriété foncière et l’utilisation d’outils d’intelligence économique pour suivre la facturation des redevances marchandes.
Autonomie ou dépendance : la position nuancée de l’Intérieur
Face aux projecteurs, Séraphin Ondélé, directeur de cabinet, a rappelé que l’État ne se désengagera pas des grands chantiers nationaux. « Nos communes doivent être capables de financer l’entretien courant et les services de proximité, tandis que la puissance publique concentrera ses moyens sur les infrastructures d’intégration telles que la route nationale 1 ou le corridor ferroviaire », a-t-il déclaré. La nuance est de taille : loin d’un retrait abrupt, le gouvernement envisage un partage plus clair des responsabilités, condition sine qua non pour assainir le climat d’affaires et séduire l’investissement privé.
De la théorie à la pratique : un plan d’action attendu par la jeunesse
La génération 20-35 ans, majoritaire dans la population, observe ces annonces avec un mélange d’espoir et de scepticisme. Marie-Paula Makosso, entrepreneure dans la logistique urbaine, estime que « la qualité des routes secondaires et la fluidité des démarches administratives déterminent directement la compétitivité des startups locales ». Or, ces services relèvent des municipalités. Le projet de plan de réformes, qui doit être finalisé d’ici septembre, propose la création d’un guichet unique numérique, l’actualisation des taux de taxe professionnelle et la formation de 300 cadres municipaux aux normes comptables IPSAS. Autant de mesures concrètes que la jeunesse souhaite voir appliquées sans délai.
Civisme fiscal et confiance publique, deux faces d’une même pièce
Dans les rues sablonneuses de Talangaï, le terme « impôt » suscite souvent méfiance. Beaucoup de contribuables contestent la visibilité de la contrepartie publique. L’atelier a donc insisté sur la boucle vertueuse liant transparence budgétaire et civisme fiscal. Les communes seront encouragées à publier trimestriellement l’affectation des recettes sur des panneaux d’affichage et sur leurs portails web. Dans la même veine, des comités citoyens, composés notamment de représentants des associations de jeunes, auront voix consultative lors de l’élaboration des budgets participatifs. « Lorsque les habitants voient une rue bitumée ou un marché couvert financé par leurs taxes, le paiement devient un réflexe, pas une contrainte », souligne le politologue Arnaud Mouyabi.
Perspectives régionales et rôle des partenaires techniques
Les réformes congolaises s’inscrivent dans une tendance observée à Kigali, Dakar ou Abidjan, où la mobilisation des ressources propres a bondi de 20 % en moyenne depuis 2018 grâce à la numérisation des procédures. La Banque africaine de développement et l’Union européenne, présentes dans la salle, ont exprimé leur disponibilité à aligner des financements sur le futur plan d’action. Pour l’économiste Adèle Samba, cette convergence est stratégique : « En période de volatilité des cours pétroliers, renforcer la fiscalité locale, c’est diversifier l’économie nationale tout en rapprochant la décision publique du citoyen. » Le défi réside désormais dans la cohérence de mise en œuvre et la continuité politique au-delà des calendriers électoraux.