Aux racines d’une nation fluviale
Sur la rive occidentale du majestueux fleuve Congo, le pays que l’on nomme officiellement République du Congo revendique une trajectoire singulière, en équilibre entre héritage précolonial, modernité francophone et ambitions régionales. Trois millénaires avant la proclamation de novembre 1958, des peuples bantous y façonnaient déjà une société marchande, appuyée sur la pirogue et la palabre. La page coloniale française, ouverte à la fin du XIXᵉ siècle, a laissé les sillons administratifs et linguistiques que l’on connaît. L’indépendance acquise en 1960 a ensuite vu se succéder expériences socialistes et ouvertures pluralistes, jusqu’au système multipartite instauré en 1992. Dans ce parcours, la stabilité offerte par la présidence de Denis Sassou Nguesso a pesé, favorisant une continuité institutionnelle qui demeure un marqueur central de la vie publique congolaise.
Barils et chiffres : l’or noir demeure
Quatrième producteur de pétrole du golfe de Guinée, le Congo extrait en moyenne 300 000 barils par jour, générant plus de la moitié de ses recettes d’exportation. Selon le ministère des Hydrocarbures, la croissance non-agricole a bondi de 4,3 % en 2023, tirée par l’entrée en production du champ Marine XXI. Cette manne confère une marge budgétaire appréciable, mais elle impose aussi un défi de gestion face aux fluctuations des cours mondiaux. « La rente doit être une passerelle, non un terminus », observe le professeur Aimé Madingou, économiste à l’Université Marien-Ngouabi. Les investissements publics en infrastructures – routes nationales, centrale thermique de Pointe-Noire et déploiement de la fibre optique – témoignent d’une volonté de traduire la richesse des barils en biens collectifs tangibles.
Une jeunesse connectée trace sa voie
Dans les rues de Brazzaville et de Pointe-Noire, un autre indicateur bat son plein : la vitalité créative des 20-35 ans, soit près de 60 % de la population. Les incubateurs locaux, à l’instar de BantuHub et Wetech Congo, hébergent des projets qui mêlent fintech, agritech et culture urbaine. Grâce aux réseaux sociaux, de jeunes développeurs commercialisent des applications de paiement mobile, tandis que des stylistes comme Grâce Okemba défilent à l’international avec des collections recyclant wax et fibres locales. La demande en formation qualifiante explose ; l’Institut national polytechnique Félix-Éboué a multiplié par trois ses effectifs en cinq ans. « Notre génération sait que l’avenir se conjugue en code informatique et en valeurs ajoutées », témoigne la startuppeuse Prisca Balou, lauréate du Prix Pierre-Savorgnan 2023.
Diversification, le mot-clé institutionnel
Face à une économie historiquement polarisée sur l’extraction, les autorités veulent accélérer le virage vers l’agro-industrie, le bois transformé et le tourisme vert. Le Plan national de développement 2022-2026 fixe pour objectif de porter la part du secteur non pétrolier à 60 % du PIB d’ici à 2030, misant sur les parcs industriels de Maloukou-Tréchot et d’Ouesso. Les premiers conteneurs de cacao torréfié localement ont quitté le port de Pointe-Noire en décembre dernier, symbole discret mais parlant d’une montée en gamme recherchée. Pour l’économiste Clarisse Kodia, consultante auprès de la CEEAC, « l’enjeu consiste à articuler capitaux étrangers, savoir-faire local et stabilité réglementaire afin de faire émerger un tissu de PME résilientes ».
Regards d’experts sur 2024 et au-delà
Le Rapport mondial sur le bonheur 2024 classe le Congo au 89ᵉ rang, un score modeste mais en progression, porté par la hausse de l’espérance de vie et un taux de scolarisation supérieur à 80 % au niveau primaire. Les partenaires multilatéraux saluent la reprise post-pandémie ; la Banque africaine de développement prévoit 5 % de croissance cette année, sous réserve d’un baril demeurant au-dessus de 70 USD. Des signaux verts que tempère la sociologue Mireille Ngonga : « La cohésion sociale restera l’atout maître si l’on veut que l’essor économique bénéficie au plus grand nombre ». Dans ce tableau nuancé, la jeunesse congolaise semble prête à saisir l’instant, profitant d’une connectivité numérique accrue et d’un climat d’affaires amélioré. Entre le fracas des plateformes offshore et le bourdonnement feutré des espaces de coworking, le Congo-Brazzaville poursuit sa quête : transformer la rente en résilience, l’effervescence en prospérité partagée.