Un héritage ferroviaire toujours vivant dans l’imaginaire congolais
Lorsqu’un train s’élance aujourd’hui du plateau des Cataractes vers les côtes atlantiques, il traverse bien plus qu’un territoire : il s’invite dans la mémoire collective. Le chemin de fer Congo-Océan, achevé en 1934, a d’abord été voulu par l’administration coloniale pour relier Brazzaville, verrou fluvial, au port naturel de Pointe-Noire. Histoire TV en propose une relecture nuancée à travers le regard de la réalisatrice française Catherine Bernstein, qui place les images d’archives aux côtés de témoignages d’historiens congolais et de descendants d’ouvriers. Pour les jeunes adultes, habitués aux trajets routiers ou aériens, ce ruban d’acier demeure un repère patrimonial majeur et un objet de fierté nationale, même si son passé reste complexe.
Entre ambition économique et coût humain, une équation coloniale
La construction des 512 kilomètres de voie, particulièrement ardue dans la jungle du Mayombe, fut un exploit technique nourri d’une tragédie humaine. Les estimations scientifiques évoquent au moins dix-sept mille décès parmi les travailleurs africains réquisitionnés. Le documentaire rappelle, sans emphase mais avec précision, le rôle des maladies tropicales, des éboulements et d’une discipline quasi militaire imposée aux ouvriers. La productrice insiste toutefois sur une dynamique structurelle : l’obsession de l’époque était de raccourcir les délais d’exportation du bois, du cuivre katangais et du cacao, afin de sécuriser les flux vers l’Europe. Cette tension entre développement économique et protection des vies demeure une leçon d’éthique pour les décideurs contemporains.
La caméra de Catherine Bernstein, un art du contre-champ historique
Connu pour ses enquêtes sur la spoliation des biens juifs et les responsabilités institutionnelles au XXᵉ siècle, Catherine Bernstein aborde l’Afrique centrale avec la même rigueur archivistique. Le montage juxtapose les plans officiels de 1934 – rubans tricolores, discours de dignitaires – aux récits oraux recueillis dans les villages riverains de la voie. « Il ne s’agit pas de juger à l’aune d’aujourd’hui, mais d’écouter ceux qui foulent encore cette terre », explique la réalisatrice dans le film. Quelques historiens, dont le professeur Gervais Macaire Koumba de l’université Marien-Ngouabi, analysent la portée géostratégique du rail, soulignant qu’il a fini par ouvrir des corridors commerciaux dont bénéficie aujourd’hui la sous-région.
Des initiatives nationales pour préserver et moderniser le réseau
Depuis plusieurs années, les autorités congolaises ont engagé, en partenariat avec des opérateurs multinationaux, un programme de rénovation des lignes et des gares symboliques. Le ministère chargé des transports a notamment confirmé la restauration du pont de la Loufoulakari et l’acquisition de locomotives hybrides adaptées aux reliefs escarpés. Au-delà des chiffres budgétaires, ces mesures traduisent une volonté d’offrir aux populations une mobilité sûre et rapide tout en réhabilitant un pan fondamental de l’identité nationale. L’Organisation congolaise du patrimoine ferroviaire, créée en 2022, organise par ailleurs des ateliers de collecte de récits familiaux ; des étudiants en histoire se rendent dans les localités jadis desservies afin de documenter les chants et les toponymes nés autour du chantier colonial.
Le rail comme catalyseur de dialogue intergénérationnel
Sur les réseaux sociaux, la rediffusion du film a suscité un flot de commentaires. Des internautes saluent la mise en lumière d’un passé occulté, d’autres interrogent la manière dont ces souffrances sont enseignées à l’école. Le président du Conseil national de la jeunesse rappelle, dans une intervention relayée par les médias publics, que « mieux comprendre l’histoire du Congo-Océan, c’est se donner les outils pour exceller dans les projets d’infrastructures de demain ». Les enseignants s’emparent déjà du documentaire comme support pédagogique, favorisant des débats constructifs plutôt que culpabilisants.
Regarder le passé pour bâtir un futur durable et inclusif
Si la ligne Congo-Océan fut à l’origine un instrument d’extraction coloniale, elle s’érige aujourd’hui en vecteur de rapprochement national, de désenclavement régional et de réflexion citoyenne. Le film de Catherine Bernstein nous rappelle que la modernité s’écrit aussi sur des rails anciens. En reconnaissant les sacrifices consentis, en célébrant les progrès techniques actuels et en construisant une gouvernance soucieuse de la dignité humaine, le Congo-Brazzaville démontre qu’un héritage chargé peut devenir le socle d’une prospérité partagée. Pour la jeunesse, cet aller-retour entre hier et demain est moins un voyage nostalgique qu’une invitation à l’innovation responsable.
