Entre idéalisme académique et exigences socio-économiques
Les Assises nationales sur l’employabilité et l’entrepreneuriat, tenues à Brazzaville, ont agi comme révélateur d’une tension longtemps perceptible mais rarement formulée : la distance entre le diplôme et le marché du travail. Aux yeux de la ministre de l’Enseignement supérieur, Delphine Edith Emmanuelle, « il fallait interroger les finalités de notre système pour qu’il contribue efficacement à la prospérité nationale ». La rencontre, dense et parfois passionnée, a mis en présence étudiants, enseignants-chercheurs, entrepreneurs, organisations professionnelles et bailleurs, tous désireux de conjuguer savoir disciplinaire et compétitivité économique.
Le pari de l’inclusion au cœur du campus congolais
C’est dans ce contexte qu’a émergé l’idée d’une université inclusive. L’expression, encore neuve dans le lexique congolais, renvoie à un modèle où la formation tient compte de la diversité des profils, des aptitudes et des contraintes sociales. L’enjeu est double : démocratiser l’accès au savoir tout en adaptant l’offre pédagogique aux besoins réels de la société. Les participants aux Assises ont rappelé que près de sept jeunes sur dix, diplômés ou non, évoluent dans l’informel. Un établissement plus perméable aux innovations sociales, aux handicaps et aux contraintes territoriales pourrait donc constituer, selon les experts présents, « un levier de justice cognitive et de compétitivité ».
Entrepreneuriat étudiant : un soutien public en progression
La dimension entrepreneuriale du projet a retenu l’attention des jeunes adultes, conscients que le salariat classique se raréfie. Delphine Edith Emmanuelle a confirmé « l’engagement du gouvernement à accompagner la jeunesse dans la maturation de ses idées ». Deux dispositifs, le Fonds d’impulsion, de garantie et d’accompagnement (Figa) et le Fonds national d’appui à l’employabilité et l’apprentissage (Fonéa), sont appelés à jouer un rôle catalyseur. En facilitant le micro-financement, les garanties bancaires et l’assistance technique, ces structures ambitionnent de transformer l’enthousiasme estudiantin en projets viables et créateurs d’emplois.
2025, horizon jeunesse : l’élan présidentiel
La perspective de 2025, année consacrée à la jeunesse par le président Denis Sassou Nguesso, sert de fil conducteur. En consacrant un prolongement à cette initiative, l’exécutif entend inscrire la réforme de l’enseignement supérieur dans un calendrier politique lisible. Des responsables de la société civile, tout en saluant la cohérence stratégique, estiment qu’une telle visibilité temporelle « renforce la redevabilité collective et l’urgence d’aboutir à des résultats tangibles pour la génération montante ». Les partenaires techniques et financiers, sensibilisés à l’agenda 2030 des Nations Unies, voient dans ce jalon un indicateur quantifiable de suivi et d’évaluation.
Vers une gouvernance universitaire collaborative
Au-delà des slogans, la gouvernance reste le nœud du changement. Les recteurs, qui siègent désormais aux côtés des représentants étudiants dans les comités de pilotage, s’orientent vers une gestion plus participative. L’idée d’un « contrat de performance » liant l’université à l’État, mais aussi aux entreprises, fait son chemin. Ce contrat pourrait récompenser les facultés capables de tisser des partenariats actifs avec le monde professionnel et d’en documenter les impacts sur l’insertion des diplômés. Selon un consultant de l’Agence universitaire de la Francophonie, présent lors des travaux, « le défi n’est pas seulement budgétaire ; il est culturel : accepter la co-construction comme mode de gouvernance ordinaire ».
Technologie et pédagogie : un tandem incontournable
L’inclusion recherchée se traduira aussi par une transition numérique renforcée. Le ministère projette de doter les campus d’une connectivité améliorée et d’outils de gestion des cours en ligne. L’objectif est de réduire la fracture d’accès aux ressources scientifiques tout en instituant un suivi individualisé des parcours. Des start-up locales proposent déjà des plateformes d’e-learning adaptées aux réalités de bande passante, préfigurant un écosystème où la compétence numérique devient un prérequis aussi important que la maîtrise des fondamentaux disciplinaires.
Insertion professionnelle : mesurer pour progresser
À l’issue des Assises, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de produire des indicateurs réguliers d’employabilité. Les facultés devront publier, chaque année, le taux d’emploi de leurs sortants, les secteurs d’activité concernés et la durée médiane d’accès au premier emploi. Une telle transparence, fréquente dans les universités anglo-saxonnes, constitue pour les observateurs un pas décisif vers la redevabilité. En retour, le secteur privé s’est engagé à renforcer les stages, mentorats et bourses d’incubation, dans un esprit de réciprocité.
Un chantier financier à consolider
La question du financement a nourri des échanges intenses. Si l’État demeure le bailleur principal, l’ouverture à la coopération internationale est jugée impérative pour soutenir l’effort infrastructurel. L’Organisation internationale de la Francophonie, la Banque africaine de développement et quelques fondations ont manifesté un intérêt pour la phase pilote. Des modélisations budgétaires évoquent un coût initial de trente milliards de francs CFA, échelonné sur cinq ans, assorti d’effets multiplicateurs sur l’économie de la connaissance.
Une jeunesse force de proposition
Les étudiants ont fait entendre une voix constructive, sollicitant la création d’un observatoire de l’inclusion et l’intégration des activités culturelles dans le cursus. Pour Christelle, diplômée en sciences économiques, « l’université inclusive ne doit pas se réduire à un label, elle doit offrir un accompagnement holistique ». Plusieurs associations ont remis un mémorandum détaillé, recommandant la promotion du volontariat, l’intégration des sports connectés et la certification de compétences transversales, autant de « soft skills » prisées par les recruteurs.
Du concept à la réalité : la responsabilité partagée
Il ressort des débats que l’université inclusive ne sera pas un édifice supplémentaire, mais un nouvel état d’esprit. Responsables publics, entrepreneurs, académiques et partenaires internationaux conviennent qu’aucune entité ne détient à elle seule la clé du succès. La réforme, attendue dès la rentrée prochaine sous forme de cursus « pilotes », sera évaluée au fil des cohortes. L’enjeu dépasse les murs du campus : il s’agit de hisser la jeunesse congolaise au rang d’actrice centrale de la diversification économique, conformément aux orientations nationales.