Au carrefour de l’esthétique et de l’écologie
Dans la touffeur marine et forestière du Kouilou, le parc national de Conkouati-Douli s’offre, jusqu’au 30 juin, comme théâtre d’une expérience singulière : transformer l’un des plus riches réservoirs de biodiversité d’Afrique centrale en laboratoire de création. L’Institut français du Congo, la Fabrique Dikoukou et l’ONG Noé ont placé six artistes visuels en immersion complète, convaincus que l’imaginaire peut devenir un levier aussi puissant que la science pour alerter sur l’érosion du vivant.
Baptisée « Une résidence au cœur du vivant », la première édition revendique une ambition claire : décloisonner disciplines et publics. Les toiles, installations ou performances à venir ne chercheront pas tant à décorer qu’à questionner la relation, parfois conflictuelle, entre les sociétés humaines et leurs écosystèmes. Avec le recul d’un appareil critique universitaire et l’émotion brute suscitée par l’observation quotidienne d’un éléphant de forêt ou d’une ponte de tortue luth, les créateurs entendent formuler un récit renouvelé de la conservation.
Portrait d’une génération d’artistes-conservateurs
Le casting ressemble à un micro-Congrès de la jeune scène visuelle : Duciel Missamou Mbouti et Sayane Kid réunissent leurs compétences autour d’« Archives vivantes », projet visant à conserver la mémoire végétale par la photographie argentique et la gravure sur bois local. Rhys Massengo, avec « Mwana et la graine de vie », élabore une bande dessinée participative destinée aux écoliers du littoral. Sagesse Malam, connu pour ses fresques chromatiques, travaille sur « Amour en couleur », un dispositif immersif où les pigments organiques dialoguent avec les chants d’oiseaux enregistrés in situ. Grâce Ngoma, enfin, fouille les strates culturelles de la côte dans « Ndatulu », série de sculptures composées de fibres de raphia et de filets de pêche recyclés.
Tous partagent un même credo : faire de l’œuvre un outil didactique. « Il ne s’agit plus seulement d’esthétique, mais d’un langage populaire qui doit déclencher une conversation sur les gestes quotidiens », résume Grâce Ngoma, pinceau encore humide, devant une clairière mangrove.
Immersion sensorielle et tissage communautaire
Au-delà de la contemplation, le format de résidence impose une vie collective proche de l’ascèse : lever à l’aube, observation de la faune avec les écogardes, partage de repas avec les pêcheurs Vili, veillées d’échanges oraux sous la voûte étoilée. Cette routine, savamment orchestrée, soutient une méthode immersive où l’artiste absorbe autant qu’il produit. Le dessin du jour devient ainsi prétexte à discuter des zones de ponte interdites ou des pièges posés aux pangolins.
Pour l’anthropologue Lydie Mbemba, invitée ponctuellement à documenter l’expérience, « la coprésence prolongée entre créateurs et populations riveraines lève les malentendus sur les politiques de conservation perçues, parfois, comme importées ». Les habitants d’Youbi ou de Madingo-Kayes voient de leurs propres yeux ce que peut rapporter, en termes de visibilité et de revenus annexes, la sauvegarde de leur patrimoine naturel.
Créativité face à la crise climatique
La triangulation art-science-citoyenneté répond à un contexte d’urgence. Selon les chiffres relayés par le ministère de l’Économie forestière, près de 1 % de la couverture forestière nationale disparaît chaque année, tandis que la pêche industrielle réduit dramatiquement les stocks de bar et de thon dans le corridor maritime. Conkouati-Douli, avec ses 504 000 hectares mêlant forêts denses, savanes, mangroves et lagunes, se trouve en première ligne.
Or, comme le rappelle le directeur de l’ONG Noé, Jean-Marc Thiébault, « la donnée brute n’émeut pas toujours ; une installation choc ou un récit graphique peut, en revanche, toucher là où le rapport scientifique échoue ». L’art devient donc média alternatif, capable de transformer l’abstraction des tonnes de carbone en image sensible et mobilisatrice.
De la résidence à l’action citoyenne
Au terme de la session, les œuvres voyageront de Pointe-Noire à Brazzaville, avant d’être exposées à Paris dans le réseau culturel français. L’itinérance poursuit deux objectifs : valoriser les artistes émergents et diffuser un plaidoyer écologique transcontinental. Les curateurs promettent également des ateliers dans les universités congolaises, où chaque créateur racontera ses rencontres avec les gorilles ou les buffles nains, images à l’appui.
Si la résidence ne prétend pas résoudre l’ensemble des menaces pesant sur le parc, elle inscrit néanmoins une dynamique pérenne : former un archipel d’« ambassadeurs du vivant » aptes à relayer, dans les quartiers urbains aussi bien que dans les réseaux sociaux, les gestes simples – tri des déchets, modération de la consommation de viande de brousse, dénonciation du braconnage – qui feront la différence. Sous la canopée de Conkouati-Douli, l’esthétique dialogue désormais avec l’éthique, et la jeunesse congolaise se découvre, peut-être, un nouveau métier : artiste-écogarde.